Jacqueline lichtenstein et Adèle Van Reeth - Les nouveaux chemins de la connaissance - Conférence Citéphilo du 10 novembre 2013 - Le faux en Art- au Palais des Beaux Arts de Lille - Merci de leurs accords gracieux.
Adèle Van Reeth - conférence Citéphilo du 10 novembre 2013 - Le faux en art - merci de son accord gracieux
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«Que soient maudits les pilleurs
et les imitateurs du travail et du talent des autres »
Albrecht Dürer
« Il faut dessiner, dessiner,
Dessiner encore, la peinture viendra après. »
Picasso
Admiratif.
Vous vous asseyez sur la banquette rouge du Palais des Beaux Arts.
Là à regarder fixement, telle la femme du narrateur du livre de Thomas Bernhard, ce tableau merveilleux, un ange, vous dites-vous. Vous souriez, vous ne vous expliquez pas ce prodige. Une heure durant : vous planez.
« Cet homme à la barbe blanche de Tintoret vous plaît donc tant que cela ? » interroge Reger, le personnage du roman de Bernhard, Maîtres anciens.
Pas de réponse.
« Ce n’est qu’au bout d’un temps assez long que la femme a dit un Non »
Ce non abrupt, direct, sans concession, fascine le narrateur. Stupéfait, il poursuit : « jusqu’à ce Non je n’avais encore jamais entendu un pareil Non. » […] L’homme à la barbe blanche de Tintoret ne vous plaît donc pas du tout ?» p 160
La réponse de la visiteuse pour extrêmement concrète est parlante. L’effet est cocasse. L’image, stupéfiante.
La ménagère épuisée de courses avait dû trouver repos dans ce salon divin. La visiteuse n’admirait pas, tout simplement, elle récupérait de la fatigue de la Foire humaine dans ce havre de culture échappant aux lois du marché. Aussi le corps repu de magasins 1*, les genoux abrutis d’abord du désir d’achats puis pleins du spectacle des tableaux avaient-ils trouvé à se régénérer dans cet antre muséal.
A travers ce passage, Thomas Bernhard pose la question de la société marchande, du monde et de ses dommages collatéraux : l’affairement, la vitesse et la superficialité. Il gifle également les représentations et les idées solidement établies que nous nous forgeons sur le monde.
On retrouve ces questions parfaitement posées par Jacqueline Lichtenstein dans la conférence de Citéphilo et des nouveaux chemins de la connaissance.
Que le monde soit fait d’illusions, de fausses impressions, de simulacres, la philosophie d’obédience idéaliste nous le dit depuis le troisième siècle avant Jésus Christ.
Mais l’Art partage avec la science, un idéal d’objectivité peu souvent questionné.
L’œuvre estampillée comme telle, n’est-elle pas une valeur sûre ? Un pilier ? Sa côte n’est-elle pas assurée sur des critères sérieux, dénués de fantaisie ?
Son intérêt ne réside-t-il point dans celui qu’on lui trouve à cœur ouvert ?
Une qualité précieuse que l’on ne lui peut retrancher. Tenez cette statue - ce Cupidon vendu par Michel-Ange à son mécène Laurent de Médicis par exemple. Eh bien, plus nous nous plantons devant ce marbre - cette offrande faite aux esprits - plus nous sentons à le regarder toute la sûreté du sculpteur antique : la puissance du burin, la précision de la masse.
Rien de subjectif, donc.
Le spectacle de ses traits nous emporte. Séduits par sa lumière, nous voici ensorcelés. Ses yeux, animés de vie, vrais, nous suivent. Sa musculature exceptionnelle fait le palpitant de notre chair.
Savant ou non, il faudrait être de fort mauvaise foi pour ne pas lui trouver des proportions harmonieuses. Une sincère beauté. Un force vraie. Sa valeur semble incontestable.
Et pourtant, une révélation – d’un coup - mène la vie dure à la plastique naguère célébrée : le marbre n’est qu’un Michel-Ange, apprend Laurent de Médicis.
Son intensité, sa perfection disparaît avec la connaissance de l’usurpation.
La tromperie, nous ébranle.
Nous nous sentons en présence d’une beauté fatale dont nous nous serions approchés imperceptiblement afin de sentir son harmonie, de nous rendre complices de son existence, de respirer sa singulière beauté et qui, aurait découvert d’odieuses ancres mal tatouées sur toute la superficie de ses bras en retirant sa veste.
D’un coup, la laideur crasse nous chavire.
La sauvagerie se mêle à l’absurde. Le désir est tué net.
La fascination fait place à la froideur. L’unique, la belle, l’originale, la Parfaite. Le « Dieu le sait, je n’ai cherché autre chose en toi que toi-même. » confessé par Héloïse à Abelard se vaporise.
Liquidé l’Adéquation parfaite entre 'nous et l’œuvre’.
Notre répulsion est un fait, une réalité.
Et voici que son imperfection nous écœure.
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Les Nouveaux chemins de la connaissance :
Ressemblances et faux-semblants (4/4) : Le faux en art
Citéphilo : Le faux en art.
Réplique d'Alain Finkielkraut avec Jean Clair et Régis Debray : La passion des images
Revue électronique Céroart :
Vers des frontières plus claires entre restauration et hyper-restauration
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Dimanche 10 novembre 2013 - Citéphilo -
Auditorium du Palais des Beaux Arts de Lille Le faux en art -
Jacqueline Lichtenstein et Adèle Van Reeth lors de l'émission des nouveaux chemins de la connaissance.
Merci de leurs accords gracieux ainsi que celui de Gilbert Glassman.
Michel-Ange du temps où ce dernier n'était point encore connu, réalisa un faux Cupidon de marbre qu'il vendît comme antique à son mécène Laurent de Médicis. Ce dernier s'étant aperçu de la supercherie, lui demanda de lui restituer la somme. Troquant ainsi - pour le coup - un faux antique mais un vrai Michel-Ange contre une somme dérisoire.
Dimanche 10 novembre 2013 - Citéphilo - Auditorium du Palais des Beaux Arts de Lille - Le faux en art - Jacqueline Lichtenstein et Adèle Van Reeth lors de l'émission des nouveaux chemins de la connaissance. Merci de leurs accords gracieux ainsi que celui de Gilbert Glassman.
Quelques notes :
Les trois-quarts des tableaux de Rubens, Rembrandt étaient réalisés par des ateliers et non par l’auteur.
L’idée d’auteur s’est construite au moment du "Romantisme" ;
L’auteur se doit d'être 'original'. (Dürer) Au XVIIème l’originalité est confondue avec l’origine.
Le faussaire introduit un doute. On doit réfléchir : doute théorique / philosophique.
Le corpus des œuvres de Corot, Utrillo contiennent nombre de copies.
Parfois l’artiste falsifie lui-même (Chirico)
L'hyperrestauration de Joseph Van der Veken (1872-1964)
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Thomas Bernhard – Maîtres anciens – Folio – Gallimard – isbn : 9782070383900.
P 164 - 165 :
« Ma femme avait ce qu’on appelle un problème de conscience, Explique le narrateur. pendant plusieurs heures, marchant devant le centre-ville, elle n’avait pas su si elle devait s’acheter un manteau de la firme Braum ou un tailleur à la firme Knize. Ainsi déchirée entre la firme Braun et la firme Knize, elle a finalement décidé de n’acheter ni un manteau à la firme Braun, ni un tailleur à la firme Knize et, à la place, de se rendre au Musée d’art ancien où, jusque-là, elle n’était allée qu’une seule fois de sa vie. »
Regger conclut :
« … tout simplement, elle était complètement épuisée. En fait les gens, dans les musées, commettent toujours l’erreur de projeter trop de choses, de vouloir tout voir, si bien qu’ils vont, ils vont, et ils regardent, ils regardent, puis soudain, tout simplement parce qu’ils se sont gavés d’art, ils s’effondrent. C’est ce qui est arrivé à ma femme… »
« … Nous nous sommes assis sur cette banquette, abandonnés du ciel et de la terre, a dit Reger, et nous sommes plus ou moins la déprime elle-même, la désespérance, a déclaré Reger… »
Le profane va au musée et se le gâche par excès.
P 163 : Nous arrachons de notre vie un objet qui nous est cher, qui, comme on dit, nous tient au cœur, une œuvre d’art, et celui qui l’a reçu s’en va le vendre pour une somme scandaleuse, extravagante, a dit Reger. Faire des cadeaux est une habitude épouvantable, naturellement contractée par mauvaise conscience et, très souvent aussi, par la peur commune de la solitude.
P 162 (cadeau) … sa nièce, quelques jours après avoir reçu le tableau de sa tante, ma future femme, l’avait vendu deux cent mille schillings au Musée de la ville de Vienne. Faire des cadeaux est l’une des plus grandes folies, a dit Reger.
P 101 : Seul l’imbécile admire, l’intelligent n’admire pas, il respecte, estime, comprend, voilà. Mais pour le respect, l’estime et la compréhension, il faut de l’esprit, et de l’esprit, les gens n’en ont pas, sans esprit et parfaitement dépourvus d’esprit ils vont voir le Pyramides et les colonnes siciliennes et les temples perses et s’imbibent d’admiration avec toute leur bêtise, a-t-il dit. L’état d’admiration est un état de faiblesse d’esprit,
P 102 : « L’admiration – écrit Thomas Bernhard dans « Maîtres anciens » - n’est pas seulement le signe distinctif de l’homme soi-disant inculte, tout au contraire, elle l’est aussi, dans la mesure tout à fait effrayante, oui, en vérité terrifiante, surtout des gens soi-disant cultivés, ce qui est encore beaucoup plus répugnant. L’homme inculte admire parce qu’il est tout bonnement trop bête pour ne pas admirer, en revanche l’homme cultivé est trop pervers pour cela, a dit Reger. L’admiration des gens soi-disant incultes est tout à fait naturelle, en revanche l’admiration des gens soi-disant cultivé est une perversité positivement perverse, a dit Reger.
Dimanche 10 novembre