Igor Morski - Book - Site.
Pierre Macherey – Gérard Engrand - Citephilo.
On respire avec gourmandise le monde d’un Proust, d’un Hugo, d’un Flaubert. Rapidement, les lignes d’apparence calme, enflent, grondent, infiltrent nos pensées avec obstination. L’air s’entête ; c’est un tourbillon de culture qui grouille – là - sous nos yeux.
Comment ce phrasé « susceptible d’une compréhension immédiate »2* arrive-t-il à nous renverser ? Comment parvient-il à nous souffler ?
Pierre Macherey a bien une idée.
Le professeur émérite à l’Université de Lille 3 n’a jamais pu se contraindre à délaisser la philosophie au profit de la littérature - et vice versa. Lors de sa conférence au Goethe Institut 1*, le maître ondoyant d’une vivacité délicate nous fait part de cette anecdote délicieuse :
« Hegel a assisté à sa première mise au programme de l’agrégation. Ses collègues lui disaient : toi tu prendras ‘La Politique’, moi, ‘Spinoza’… Hegel dit : la philosophie n’est pas faite pour être enseignée. » « Il y perdrait sa liberté de penser. » conclut le professeur.
A l’époque, le couloir des disciplines était étanche : la philosophie s’alignait aux côtés des lettres sans croisement possible.
Cette « séparation des matières : c’est incompréhensible », fustige Pierre Macherey. Effectivement, la raison se révolte contre tout cloisonnement d’un Montaigne, d’un Pascal, d’un Voltaire dans l’une ou l’autre de ces cellules cérébrales. Le penseur se dresse contre les idées escarpées : « J’ai passé ma carrière - vue en tant que parcours, précise-t-il - à être incommodé par cette distinction. C’est pénible et dérangeant. J’essaye de colmater la brèche. » Au reste, « il y a des cas où » les frontières dressées « ne fonctionnent pas. »
Par exemple, de la 6ème à la terminale, ces auteurs ne changent-ils point de statut ? « Une fois mis au rang de la philosophie. Une fois mis au rang des lettres. » Ces orfèvres en bijoux précieux passent au rang des laissés pour compte, des SDF - Sans Discipline Fixe. Condition désœuvrée de textes allongés sur le pavé de l’indifférence, à côté desquels on passe sans s’arrêter, et dont l’insaisissable présence implique une situation hugolienne : précaire, indéterminée, injuste et misérable.
Georgia Russell - Entre deux mondes
Le littérasophe Macherey rythme ses mots à la vitesse de ses lumières. Certains pensent qu’«il y a de la philosophie dans la littérature comme le lièvre dans le pâté. C’est faux. […] Il ne s’agit pas de philosopher sur la littérature mais au moyen de la littérature. A partir de ce qu’elle donne à penser. » A partir de son intensité philosophante.
Pierre Macherey entre en philosophie littéraire. Voyage en pure littérature, au cœur des raisonnances multiples. Penché sur ses études, l’explorateur en vibrations déambule tel Jules Verne dans l’intimité de son bureau, au centre de lignes étroites, ouvertes sur l’infini. Le marcheur infatigable entame des balades orientales en usage singulier, chasse les idées générales, redoute leur appétit carnassier 3*, se perd dans les dédalles surprenants des temps et des verbes d’un Proust, des pronoms personnels d’un Flaubert.
« Je me suis demandé à quoi il faut penser – explicite-t-il - : c’est un travail d’explication de texte. Décortiquer un texte mot à mot, voir comment il fonctionne. » Au contraire des anglais/ américains regardant un texte de loin, en extrayant une phrase, le chercheur étudie les strates du mot.
La richesse atomique de la matière littéraire.
Pierre Macherey – Proust, entre littérature et philosophie - Citéphilo 20/11/2013 - médiateur : Gérard Engrand – Goethe Institut de Lille. Merci de son accord gracieux.
Voyage au bout de la nuit n’est ni un miroir contemplatif ni répétitif - une imitation vulgaire - de la vie, c’est un Monde, et plus exactement sa Fosse commune ;
« Céline s’est enlisé » pour l’écrire. Dans un jeu d’ombre foutrement sombre, « il invente une nouvelle façon de façonner et d’enchaîner les phrases. » Saisit l’indicible barbarie de la parole orale transcrite en écriture. Alors l’image se teinte de noirceur, de cruauté, de misérable lucidité. Alors la voûte nocturne s’encre d’une accumulation d’ordure. Alors, le feu sans étoiles incarne une monstruosité vertigineuse où l’âme du lecteur frappée de vertige, paniquée vient à chuter, tomber, s’enfoncer, buter.
S’écrase encore - dans ce gouffre de souffre et d’horreur…
Les pages provoquent une « étrangeté intérieure », confie le philosophe. Un paradis pour l’explorateur - un enfer pour certains hommes plombés, bouleversés, secoués, déboussolés, laissés dans un état lamentable sur la grève.
Un écart monde, une transgression aux reflets crépitants, frappants. L’anomalie scintille, chauffe, file, gronde, brûle, carbonise l’entendement. L’errant reniflera avec bonheur l’odeur de la cendre et la suie : strates roussies et grises sur lesquelles poussent les lichens et la mousse.
« Je est un autre. » d’Arthur Rimbaud.
Trésor national.
« Je préfèrerais ne pas… » de Bartleby.
Trésor non monnayable.
Le chasseur émérite est un débuscoeur d’étrangetés.
Extraits choisis :
1 * Conférence Citéphilo 20/11/2013 - 17h00 à 19h00 donnée au Goethe Institut de Lille. Pierre Macherey – et Gérard Engrand, médiateur.
Proust – Entre littérature et philosophie
Je me suis confronté à des textes et me suis demandé à quoi il faut penser : c’est un travail d’explication de texte. : Décortiquer un texte mot à mot, voir comment il fonctionne.
Les anglais/ américains regardent un texte de loin, en extraient une phrase.
Mon livre « théorie marxiste de littérature » était venu en son temps. J’étais éberlué par les comptes-rendus des journaux et naturellement bien content.
« A quoi pense la littérature »… Je n’ai eu aucun succès.
J’ai changé le titre « Philosopher avec la littérature »
Penser : personne ne sait ce que ça veut dire.
Littérature (lieu de pensée philosophique)
forme stylistique. Il faut repérer les anomalies. C’est ce qui est intéressant, fait sens
Valéry (poïétique) un style, c’est une manière de déstructurer la langage.
Herméneutique : Qu’est-ce qui est caché en dessous ?
Proust : que faire de l’intelligence stylistique ? Existe-t-elle ?
La littérature « oblige » à philosopher.
2 * « Note de bas de page : C’est ainsi qu’on peut lire dans « Drôles de goûts », article publié dans le n°11 de Volontés en novembre 1938 : « Toute œuvre demande à être brisée pour être sentie et comprise, toute œuvre présente une résistance au lecteur, toute œuvre est une chose difficile ; non que la difficulté soit un signe de supériorité, ni une nécessité ; mais il doit y avoir effort du moins vers le plus » (VG, p 140)
NBP (4) Ainsi cette indication qu’on trouve dans « Drôles de goûts » (art. cit.) : « L’œuvre doit être susceptible d’une compréhension immédiate, telle que le poète ne soit pas séparé de son public possible (tout homme parlant la même langue), abstrait du monde culturel où il vit. Et cette compréhension immédiate peut être suivie d’appréhension de plus en plus approfondies. » (VG, p 140.) Ceci signifie que la lecture d’un texte littéraire se déploie successivement à plusieurs niveaux. [VG = Le Voyage en Grèce, Raymond Queneau, Gallimard, 1973.] » Pierre Macherey – Philosopher avec la littérature P 116 :
Pierre Macherey – Philosopher avec la littérature – Exercices de philosophie littéraire – Essais Hermann
3* « Je n’aime pas les idées générales, je les redoute. » Conférence Citéphilo 20/11/2013 - 17h00 à 19h00 : Proust – Entre littérature et philosophie
La philosophie au sens large
Groupe d'études animé par Pierre Macherey
La philosophie au sens large
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Gai savoir de Raphaël Enthoven et Paola Rayman.
Moby Dick - Melville (Rediffusion du 07.04.2013) à écouter d'urgence !
Les Nouveaux Chemins de la connaissance avec Adèle Van Reeth
Peut-on échapper au travail ? (2/4) : L’effet Bartleby
Les Nouveaux chemins de la connaissance par Adèle Van Reeth.
Actualité philosophique : Pierre Macherey.
Une figure éclairée de l’impérative examen de l’écrit. L’irruption du texte touchant nos conscience du doigt. Pour cette joie confuse du pur plaisir d'écouter, cette rencontre personnelle avec l’étoile de la lecture, cette présence - dix fois plus saisissantes, cent fois plus épaisses que les terres continentales...
Proust – Entre littérature et philosophie - Citéphilo 20/11/2013 - Pierre Macherey – Gérard Engrand – Goethe Institut de Lille. Merci de son accord Gracieux.
Proust – Entre littérature et philosophie - Citéphilo 20/11/2013 - Pierre Macherey – Gérard Engrand – Goethe Institut de Lille. Merci de son accord Gracieux.