« Qu'y a-t-il pour toi de plus humain ?
- Epargner la honte à quelqu’un. »
Nietzsche, aphorisme 274 du Gai savoir.
« Les courageux ne sont pas, en ce sens, « conformes ».
Ils ne se conforment pas à l’idée que l’on se fait d’eux. » P 104
Le courage est sans victoire
Cynthia Fleury.
Le bonheur est une construction fragile, laquelle n’est pas à l’abri des glissements de terrain. L’édifice familial présente des fragilités, en effet. Elles se nomment « normalité », « différence », « atypisme ». L’angoisse engendrée par tout ce qui n'entre pas « dans la moyenne » d'une « classe d’âge » - bref, le « hors norme » - ébranle bien des fortifications.
Daniel Tammet, le bonheur, il ne le connaît pas « naturellement ». Ses fragments de vie sont des tessons éparpillés au sol. Sa liberté, il a dû la gagner, explique-t-il non sans fierté. « Je gagne mon pouvoir d’être comme tout le monde. »
"Je gagne ma liberté. Je gagne le pouvoir d'être moi-même."
Le syndrome dit « Asperger » dont souffre Daniel Tammet, est associé généralement au terme de « savant » ou encore de « haut niveau ». Utiliser ce type de vocable est clivant - voire détestable – ça va sans dire. Qui dit de haut niveau – suppose en contrepartie – l’existence de bas niveau, de rebus, de « non savants ».
Si l’expérience de Daniel Tammet est intéressante, c’est pour des raisons strictement inverses de celles recherchées par les vendeurs de lessives, les gueux du savoir qui se jouent de la différence, l’instrumentalisent, afin d’en faire un objet « hautement lucratif ».
Ceux-là même qualifiant les autres asperger de médiocres, collent à Daniel Tammet (et seulement lui puisque - disent-ils - il ferait partie des 100 plus grands esprits du siècle !) l’étiquette de « génie », de "brillant", affirment qu'il a un "don", le transforment donc en bête de foire.
« Un phénomène » un personnage atypique – non conforme – hors norme, tout de même capable - excusez du peu - de réciter 22 500 décimales de pi.
Daniel Tammet confirme combien le particularisme – quel qu’il soit – ne relève pas tant d’une question de nature que de degré. Il précise :« … les pensées d’un autiste ne sont pas différentes de celles d’un individu normal. Elles sont seulement une forme extrême de celles-ci. En inhibant temporairement certaines activités cérébrales – la capacité de penser contextuellement, ou conceptuellement, par exemple. » (1) P 59.
Petit, Daniel Tammet a d’abord vécu le rejet des autres, les moqueries. Il a senti sa différence. « Certains enfants de la cour de récréation venaient me trouver pour me taquiner en imitant ma main qui battait et en se moquant de moi. ». (1) p 105.
Heureusement, ses parents l’ont vaillamment soutenu.
Daniel Tammet était un enfant – difficile – dormant peu - pleurant beaucoup. Pourtant, lors de crises, ses parents le mettaient dans une couverture et le berçaient des heures durant.
« Mes parents n’aimaient pas que je sorte seul. Aussi, je collectais les marrons avec mon frère Lee. Je n’avais rien contre, c’était une paire de mains supplémentaire. Je prenais chaque marron entre mes doigts et je pressais sa forme lisse et ronde contre le fond de ma paume ( une habitude que j’aie gardée aujourd’hui – le toucher agit comme un calmant, même si aujourd’hui j’utilise plutôt la monnaie ou des billes). Je remplissais mes poches de marrons, un par un, jusqu’à ce qu’elles soient pleines et gonflées. C’était comme une compulsion, je devais collecter tous les marrons que je pouvais trouver et les rassembler tous ensemble à un endroit. » p 82 (arbre-monde)
« Une fois dans ma chambre, je répandais tous les marrons sur le sol de ma chambre, les comptais et les recomptais. Mon père arrivait avec un sac poubelle et m’aidait à les compter. » P 83 :
Les parents du petit Tammet ne se sont pas contentés de l’observer, ou de compatir, non ils ont agi avec force et courage. Car il est bien là le courage : c’est la capacité de pouvoir affronter au quotidien des difficultés incommensurables. Le courage explique Cinthia Fleury « comme la justice est un acte sans capitalisation possible… l’ennemi du courage est le découragement… Le courage est sans victoire. » p 34
"Grandir, ça n'est pas du court terme."
"Je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes." Tocqueville.
Se préparer à l’âge adulte, à la pleine possession de ses moyens…
Ma partie, c'est les pratiques...
« Un jour, ma mère me demanda de fixer un point – une clôture, un arbre ou une maison – au loin et de marcher sans le quitter des yeux. Cette astuce simple m’aida à garder la tête haute et dans les mois qui suivirent, ma coordination s’améliora beaucoup. Je cessai de tout heurter sans cesse et mon assurance devint plus grande. » P 117
Cette astuce trouvée par sa mère paraît « ordinaire » - toute bête – voire anodine. Il n’en est rien. Ce simple geste a certainement joué un grand rôle dans les progrès de Daniel Tammet. Il existe donc – des techniques – des recettes - des coups de pouces susceptibles de modifier la vie de celui qui les met en application.
Ainsi, ce sont ces mêmes parents qui lui ont permis d’entreposer des livres dans sa chambre. Des livres et des livres formant des piles qui – parfois – s’écroulaient.
C’est son père encore qui l’a conduit toutes les semaines dans un club de jeu d’échecs.
« J’étais paniqué par l’eau, paniqué à l’idée d’être enfoncé sous elle et de ne pas pouvoir remonter à la surface. »
p 117
Indénablement ses parents – comme ceux d’Alexandre Jollien – l’ont aidé à garder la tête haute (1) p 117. Avec patience, courage,abnégation, ils ont soutenu, porté leur enfant.
"Nous sommes fiers de toi." aimaient-ils à répéter.
« Les courageux ne sont pas […] « conformes ».
Ils ne se conforment pas à l’idée que l’on se fait d’eux. » (2) p 104.
Si Daniel Tammet a pu écrire « J’ai gagné ma liberté, j’ai gagné mon pouvoir d’être comme tout le monde… » au-delà de ses propres efforts (considérables et remarquables), c’est aussi grace à ses parents et à tous ceux qui l'ont soutenu.
Ils l’ont aidé à apprendre à «nager » à ne plus être – telle l’expression Deleuzienne - à « la merci de la vague ».
Aujourd'hui Daniel Tammet est écrivain et il développe différentes méthodes d'apprentissage des langues.
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(1) Daniel Tammet – Je suis né un jour bleu – j’ai lu -2007 – paris – isbn : 9782290011430
(2) Cynthia Fleury, La fin du Courage, Fayard, 2010, ISBN : 978-2-213-65162-0
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