Qu’est-ce que la méthode Borel Maisonny ?
Il s’agit d’une méthode mise au point par Suzanne Borel-Maisonny, une des fondatrice - en France - de l'orthophonie. Isabelle Breil - enseignante spécialisée dans les troubles de la déficience auditive - nous
explicite son origine ainsi que son principe de fonctionnement. Ainsi, nous relate-t-elle sur le site de l'Académie de Reims, combien "La conscience de la position articulatoire est pour Mme
Borel-Maisonny est une condition sine qua non à l'émission d'un phonème. Le geste associé au phonème permet de créer un conditionnement à l'identification de la lettre écrite et de l'articulation
correspondante qui doit être d'une solidité parfaite.
Le geste permet aussi de travailler la tension, l'intensité et la durée du phonème."
Nota : Comme nous le verrons ensuite, le canal tactile est également l'un des éléments clés de la méthode.
En outre, vous pourrez trouver sur le site de la "CLIS de Gaillac" des fichiers Word proposant des affiches (petits formats et grands formats) en bas de page, utiles pour la classe.
En quoi consiste-t-elle ?
Son emploi est ultra simple, il s’agit d’associer un geste à un son, c’est-à-dire une lettre ou une syllabe, dans le jargon spécialisé, on appelle cela un « phonème ».
Il est courant d’observer – au sein du monde enseignant – des réserves importantes vis-à-vis de cet outil appelé à tord de "reconstruction" (comme s'il se devait d'être réservé uniquement aux dyslexiques, aux élèves rencontrant des problèmes de lecture, bref, en gros, aux lecteurs patouillant dans les textes, englués dans les mots). Les réticences se réfèrent généralement soit à sa complexité, soit à son origine, soit, encore, au terme « méthode ».
Commençons par la troisième critique :
Effectivement, oui, il s’agit d’une méthode. Or une méthode est un outil « clé en main », exploitable du début à la fin, dans un ordre donné. Naturellement, en
classe, il ne s’agit nullement d’utiliser tous les phonèmes présentés. Seuls ceux relatifs aux lettres ou syllabes proches, seront employés. Cela réduit considérablement leur nombre (les voyelles
étant toujours bien identifiées, il sera donc inutile de les citer). En outre, certains gestes étant moins opérants – du moins est-ce ce que j’ai pu constater à l’usage - ou peu
"marquants", tels ceux du B ou du D, ces derniers ne seront pas plus abordés. Reste les plus « efficaces ». Généralement le V et le F, le M et le N, le C, le P, le L, le G, le J,
et le R, cela réduit considérablement leur nombre (une bonne dizaine, à moduler suivant les élèves).
En ce qui concerne son origine, cette dernière devrait – au contraire – inciter au plus grand respect et à la confiance. En effet, s’il existe des spécialistes
concernés par les problèmes de lecture, les moyens d’en pallier les difficultés, voire d'en faciliter l'accès, ce sont bien les orthophonistes.
Enfin, à propos de sa mise en place… Rien de plus simple. Il suffit de reprendre les photos correspondant au son à travailler, de noter ce dernier en dessous et
d’imprimer ceux qui nous
intéressent en grand pour la classe et en petit pour le lexique de l’élève (cf également en bas de page, l'école Lakanal).
Quant à son emploi, c'est "un jeu d’enfant" :
Par exemple, pour le mot « lapin ». On interrogera l’élève sur ce qu’il entend, « Qu’entends-tu dans lapin ? » « Lllla…pin ? » . On mimera le geste en montrant la photo, tout en prononçant le son de la lettre - « llle ».
Il est bien sûr inutile de mimer les autres lettres.
L'orthophoniste Annie Dumont, chargée de cours à l'université Paris VI, explique sur ce lien (vidéo) le fonctionnement de la méthode Borel-Maisonny. Elle est également l'auteure de la "Dyslexie", édité aux éditions du Cavalier Bleu. Ce livre dénonce les idées reçues récurrentes dans ce domaine.
En quoi cet outil peut-il nous être utile, en classe de CP - ordinaire ?
Tous les élèves « n’entendent » pas les phonèmes dans un mot. Par exemple – pour en revenir à lapin, il est courant d’observer des élèves entendre le « a » mais pas le « llle ». Effectivement – oui – d’une manière générale, les voyelles ressortent mieux (à l’oral) dans un mot que les consonnes. (Ce qui n’est pas le cas à l’écrit.)
Par ailleurs, nombre de phonèmes sont confondus en raison de leur proximité phonémique. Le site de "La petite souris" reprend le tableau des phonèmes. On y saisit mieux les proximités articulatoires.
« Le rôle de l’enseignant – souligne Britt-Mari Barth dans « l’apprentissage de l’abstraction » est donc
d’abord d’assister l’élève dans la construction de son savoir, tâche que personne ne peut exécuter à sa place. » P 17. Or, comment déchiffrer quelque chose que l’on n’entend pas ?
Pointer ce phonème en l’accentuant d’un geste constitue donc une aide pour l’élève.
Mais il existe un autre argument – bien plus profond et tout aussi sérieux – qui milite en sa faveur. Il s’agit de la manière dont nous construisons nos savoirs.
Britt-Mari Barth, reprend la « Hiérarchie des modes de représentation de la connaissance selon Bruner :
1. observation-exploration = « mode enactif *» (sensori-moteur)… *terme propre à Bruner
2. représentation mentale = « mode iconique* » (visuel)
3. abstraction = « mode symbolique » » (1)
Autrement dit – bébé – nous avions besoin de « sentir », de manipuler les choses pour apprendre. Jean Piaget, Jérôme Bruner (qui s'est inspiré - sur ce point précis - des travaux de Piaget) appellent cela le mode « sensori-moteur ». Sur cette vidéo, on observe particulièrement bien comment cela fonctionne :
Vidéo d'un bébé en pleine action sensori - motrice.
Il est donc inutile – voire préjudiciable - d’empêcher le bébé de mettre les objets à la bouche. Effectivement, ce
dernier a besoin de « sentir », de découvrir, de comprendre son environnement par le toucher mais également par le goût (les capteurs sensoriels, les papilles, sont présents en nombre à
la surface de la langue).
Britt-Mari Barth souligne combien « …plus l’enfant est jeune et inexpérimenté, plus il a besoin de manipuler pour accéder à l’information. Ensuite l’apparence visuelle domine. Le système symbolique devient dominant avec l’âge et l’expérience, mais cela ne veut pas dire que l’adulte ne codifie plus une expérience par le système enactif ou iconique. » Ibidem, P 90.
En gros, voici comment cela fonctionne :
Au départ, il y a des Stimuli (Les sens sont sollicités, stimulés), cela génère des sensations, lesquelles vont être mémorisées (en « souvenir de la sensation ou perception primaire »), viendra ensuite la représentation de la chose perçue et, enfin, la création d’une image mentale/ perceptive
La chercheuse poursuit :
« Qu’est-ce qui détermine ce dont on va se souvenir ? La perception, selon Bruner, est un processus qui demande une
prise de décision puisque celui qui perçoit doit déterminer ce qu’il croit percevoir. Cette décision sur la nature des sensations est basée sur des « indices » (cues) que les
structures mentales, déjà organisées, lui permettent de distinguer. C’est-à-dire qu’à partir d’une image déjà constituée auparavant, stockée dans sa mémoire, l’individu peut décider ce qu’il
perçoit. On pourrait parler d’une forme rudimentaire de catégorisation, puisqu’il faut reconnaître – et donc se souvenir de – certains indices et déterminer si la chose perçue appartient ou non à
la même catégorie. On reconnaît quelque chose de nouveau par analogie avec un élément déjà perçu.
[…] Dans un premier temps on apprend ainsi par l’action, par la manipulation. C’est le mode « enactif » ou
sensori-moteur. L’information passe par l’action. Connaître, c’est d’abord agir. On connaît quelque chose parce qu’on « sait le faire ». Pour apprendre, on a
besoin de manipuler les données, de les percevoir par les sens. Un apprentissage psychomoteur se fait par l’intermédiaire de l’action et sa représentation est sensori-motrice, «
inscrite dans nos muscles » (Bruner JS, Beyond the information given, selected and edited by J. Anglin, WW Norton, New York, 1973, p 328).
» (2)
Ainsi, donc, cette méthode – aide « à manipuler » - au sens propre et au sens figuré le « son des lettres et syllabes simples ».
Britt-Mari Barth - toujours dans l’apprentissage de l’abstraction - insiste : Nous disposons – nous dit-elle - de
trois systèmes de représentation (visuel – auditif – tactile) ; une fois développés, ils fonctionnent comme trois systèmes parallèles pour appréhender l’information. Il est donc nécessaire de
développer ces 3 modes de concert !
Or, à l’école, nous observons combien les deux premiers canaux (visuel et auditif) sont présents – et ce, au détriment du
canal tactile, de la manipulation.
La méthode Borel-Maisonny présente donc un avantage nouveau - un atout tout à fait intéressant - puisqu'elle permet à l'enfant de "ressentir" le son dans son corps, de l'appréhender d'une manière concrète. Bref, d'aborder la lecture d'une manière différente des méthodes traditionnelles.
Ainsi, le "R" va-t-il "rouler" dans la gorge.
Stanislas Dehaene confirme : « Apprendre à lire, ce n’est pas seulement associer des lettres à des sons ; c’est également organiser la perception des lettres dans l’espace, dans le bon ordre et avec l’orientation adéquate. » P 389. Il ajoute, un peu plus loin… «… Maria Montessori, l’une des activités qui préparent l’enfant à la lecture consiste à tracer du doigt le contour de grandes lettres en papier de verre. […] En imposant à la vision une exploration spatiale asymétrique, elle ne peut que faciliter la rupture de symétrie de la voie visuelle ventrale. »
Faut-il l’employer telle quelle ?
Evidemment, non. Comme tout outil, il est susceptible d’améliorations, de modifications. Il s’agit de se l’approprier.
Par exemple pour le « F ». L’enfant sur la photo, coupe horizontalement l’espace, le pousse(comme le montre Annie Dumont) afin de signifier l’air qui s’expulse des poumons. Mais - à mon sens – il est plus efficace d’utiliser un geste ascendant, rappelant le décollage de la fusée.
Pour le "Gue", le geste est trop proche du « ke (C) », raison pourquoi, mettre la main sur la gorge ( « Gue comme gorge ») est plus
adéquat.
Nota : les élèves font bien la différence entre la modification générée à l’école et le geste de l’orthophoniste.
Prolongement :
Sur cette vidéo, nous pouvons observer un enseignant "prononcer le son de la lettre R ". Ce dernier associe l'écriture de la lettre au son (ce travail est effectivement un complément, puisqu'il s'agit du "geste de l'écriture"). La vidéo du "fu" fait référence au même type de travail.
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Sites utilisant la méthode Borel Maisonny et proposant des activités :
Petits pas. Remarque : la méthode est ici utilisée pour chaque lettre. Le sous-main peut être utile.
La petite souris. A noter : des fiches élèves intéressantes. La maison des sons...
Ecole Lakanal (il existe d'autres fiches intéressantes sur ce site.)
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(1) Britt-Mari Barth, l’apprentissage de l’abstraction, méthodes pour une meilleure réussite de l’école , P 71.
(2) Britt-Mari Barth, l’apprentissage de l’abstraction, méthodes pour une meilleure réussite de l’école ; RETZ, 1987, P 89.