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22 janvier 2012 7 22 /01 /janvier /2012 07:48

« Il suffit de traverser la Manche pour se rendre compte de la contingence des modes de Cyrano de Bergerac, les états de la lune (1657). Cyrano s'élèverait-il vers l'arbre de la connaissance ?découpage des savoirs. Les frontières disciplinaires par exemple s'y incarnent dans les différents cahiers qui répartissent, pour les enfants du primaire, les savoirs en matières distinctes. Plus nombreux pour les écoliers français, ces outils matérialisent une volonté de mise à distance des savoirs du vécu de l'enfant supérieure à celle qui est organisée pour leurs homologues anglais. »
(1) p 69-70. 


 Les programmes sont composés pour Elisabeth Bautier et Patrick Rayou de «  : … savoirs jugés légitimes pour un état donné du développement de la société et pour l'ensemble des catégories sociales dans le cadre de la scolarité obligatoire. » … mais aussi de tous les pré-requis nécessaires aux apprentissages. « Ceux-ci inégalement transmis dans les familles, doivent être alors construits dans l'école elle-même pour ceux qui ne les ont pas acquis à l'extérieur. » L’école – expliquent-ils est « investie de la tâche de former un sujet en quelque sorte « total », simultanément social et cognitif. La nécessité d'une pédagogie différenciée se heurte à un monde scolaire qui a pensé régler les questions de l'égalité par la standardisation et au fait que ces pré-requis sont évidemment des savoirs au sens classique, mais aussi des attitudes devant l'étude, des « postures » (sens de l'effort de longue durée, confiance dans la récompense par les bénéfices tardifs des efforts du moment, acceptation de détours réflexifs pour maîtriser le quotidien...) qui font difficilement l'objet d'une programmation et d'un découpage par séquences, mais aussi et surtout, d'une explication. » (1) P 13.

 

Souvent, en classe, les savoirs se succèdent les uns aux autres. L’enseignant – consciencieux – concocte une jolie séquence (laquelle suit scrupuleusement les directives et programmes). Les erreurs possibles des élèves sont prises en compte, les remédiations notées sur papier. Les évaluations sont programmées et ça  roule « comme sur des roulettes ».

 

 

 

Pourtant, les écarts se creusent. L'échec scolaire augmente. La reproduction des inégalités se poursuit inexorablement. Le « malentendu quant à la « raison » du travail [s’accroît] : les élèves « obéissent » à l'enseignant, répondent à la question posée, font ce que l'enseignant a indiqué pour réaliser une tâche, non pour apprendre mais pour faire. [Nous sommes alors dans l’exercisation – c’est-à-dire l’exécution de l’exercice – cf note de bas de page n° 2.] L'école se présente alors aux élèves comme une succession de choses à faire sans lien les unes avec les autres, apparence confortée par l'organisation même du temps scolaire [cf emploi du temps cloisonné].   … Dès lors, ce qui importe pour certains élèves, c'est moins d'apprendre en faisant que d'avoir fait. Cependant, quand certains élèves apprennent en faisant, d'autres pensent qu'il suffit de faire pour répondre aux attentes scolaires. (inégalité d’apprentissage) ». (1) p 117.


Pourquoi ?

 

Nous sommes – comme l’indique Yves Citton – dans le flux d’information. La coulée des savoirs. Nous pensons les élèves détenteurs d’une méta cognition (une représentation intellectuelle de leur propres procédures – de leur travail) qu’ils ne possèdent pas. Ou plutôt – soyons justes – que les élèves en difficulté (issus des familles défavorisées) – quel hasard, n’est-ce pas ? – ne possèdent pas.

 

Ainsi, je leur ai demandé :

"- Pourquoi avons-nous construit un moulinet ? (Une semaine après.)
Hésitation...
- … Pour le faire tourner … ? !

  

 

Un autre :
- Pour faire joli.
Un autre encore :
- Pour construire un moulinet. (CQFD) [Ce qui n'est pas faux -  même très pertinent - puisqu'il s'agit de l'intitulé de la fiche de fabrication. Je le leur dis et j'ajoute que je veux pousser plus loin les raisons. Je souhaite entendre les raisons pédagogiques de la chose (bien sûr j'utilise un vocabulaire adapté).] 
- Madame, pourquoi on dit moulinet et pas moulin à vent ?" (Le passage à un autre sujet est typique du genre « conversationnel » qui consiste à ne pas penser la question.)
Après leur avoir expliqué la raison [Je pense qu’il faut toujours répondre soit de suite, soit en différé quand la conversation a vraiment dévié de son sujet (et qu’elle est pertinente – bien sûr). Car la réponse à ses questions – souvent - l’élève en difficulté ne l’obtiendra qu’à l’école. Répondre, c’est donc leur procurer « un peu » d’intelligibilité et leur procurer un « chouïa » d’égalité.]

  Le moulinet. Je poursuis (le métier d'enseignant est un métier fait "d'obsessions") :

"- Lorsque nous avons construit le moulinet, des savoirs et de propriétés nous ont servi pour cela. Quels étaient-ils ?
- Un bouchon, madame et un bâton !
(Je passe les  réponses apparentées…)
- A quoi sert un enseignant ?

Trouble et tremblement (face à la déviance – de surface - de la question). Elèves (unanimes) :
- A apprendre ! (Ps : Amusez-vous à les interroger : la réponse est « pavlovienne » . Nos élèves seraient-ils conditionnés à « l’insu de notre plein gré » ?)
- A apprendre quoi ?
- A construire un moulinet. " (CQFD).

 

Impasse.

 

Je tente donc une nouvelle approche :

"- Pourquoi fait-on des affiches que l’on accroche dans la classe ?
Aucune hésitation :
- Pour faire joli !
- Pour faire plaisir aux parents, madame !
Ma réponse :
- Ca m’est égal que les parents trouvent ça joli ou non - ça m’est vraiment égal.
(Yeux ronds des élèves – abasourdis.)
- Les affiches s’adressent à qui ?
- C’est pour nous !
- Pourquoi ?
- Pour nous aider.
- Aider à quoi ?
-  A se souvenir.
Je reprends :
- Pourquoi à votre avis, je vous ai fait faire un moulinet ? … J’aurai pu vous faire faire autre chose après tout... mais j’ai choisi cet objet pour une  raison précise.
- Pour nous apprendre à mesurer ! "

 

On respire.
S’enchaîne alors une liste des éléments mathématiques (propriétés – vocabulaire – savoir et savoir-faire) qui nous ont servi à fabriquer cet objet technique.

 

Diagonales - segments - angles - sommets

 

En gros : mesurer la longueur du côté – diagonale – segment – sommet – angle droit – carré.
 

Reste à les articuler les uns aux autres.
"- Quelle figure devons nous obtenir si nous voulons réaliser un moulinet ?
- Un carré.
- Qu’est-ce qu’un carré ? …
- C’est quatre côtés.
- C’est exact. Comment l’obtient-on, à coup sûr ? 
- On fait 21 centimètres !
- C’est vrai pour cette fois-ci, mais pour une autre fois ? Est-ce  un critère pertinent ?

Je leur montre un carré de 3 centimètres de côté et un autre de 10.
- Celui-ci aussi est un carré et celui-là également. Et pourtant ils ne font pas 21 centimètres de côtés.
- Les côtés sont tous pareils.
- On va dire égaux. C’est vrai mais ça ne suffit pas (Je montre un losange)… Ceci est-il un carré ?
- Non.
- Pourquoi ?… Pourtant, il a quatre côtés égaux, non ? (Les enseignants ont des côtés pervers – je vous jure…).
- Il est tout aplati.
- C’est exact. Il n’est pas pareil que l’autre. Donc, quelle est la définition du carré ?

Gros moment de solitude.
Je pose alors la question qui tue :
- C’est quoi une définition ? A quoi ça sert de connaître des définitions ?
- … ? "

 

Expliquer le pourquoi des choses est important. Eclaircir à quoi sert une définition, quelle est sa « fonction » est primordial :  la connaître – et  en prendre conscience – permet de reconnaître de manière certaine et sûre un carré d’une autre figure. [On dira que les attributs choisis sont pertinents. cf Britt-Mari Barth. Primauté du concept.]
 

On arrive enfin à la définition : « Un carré, c’est quatre côtés égaux et quatre angles droits. »

Des élèves tenant fièrement leur afficheConclusion :

 

Utiliser des propriétés afin d’effectuer un objet ou un travail ne suffit pas.

 

Il faut les rendre explicites par l’intermédiaire d’une synthèse (souvent posée par le biais d’une affiche). Et il convient de toujours penser – s’interroger – non seulement sur le pourquoi des choses, mais également sur le pourquoi on fait les choses. A quoi ça sert ? 

 

Gravure tirée de The Man in the Moone, de Francis Godwin (1648).Ce qui est différent : c’est d’inciter les élèves à se mettre à la place de l’enseignant. De leur faire comprendre quels sont les objectifs de ce dernier et pourquoi il agit d’une manière ou d’une autre (qui n’est pas arbitraire mais pensée – enfin … normalement.).

 

Ce savoir méta cognitif change tout. L’élève sera moins (soyons modestes) en situation d’exécutant attentiste de la tâche demandée, et prendra davantage part au monde. Il travaillera un peu plus en conscience et en connaissance de cause.

 

Les mécréants ironiseront sur le fait qu’il s’agisse d’une CLIS. Ce mépris grossier illustrerait non seulement une  méconnaissance crasse du métier mais de leurs propres élèves. Dans une classe – dite « ordinaire » - nombre d’élèves (et pas forcément les plus en difficulté) développent le même type d’idées reçues ou de non-savoir quant à la raison pour laquelle ils « font les choses », simplement, ils le masqueront par un silence poli. Ils laisseront les autres répondre à leur place…

 

Cette attitude se comprend, elle s’apparente au convive qui opine de la tête aux paroles du maître de maison, fait mine d’avoir compris à la troisième répétition de la même phrase – par mesure de politesse - savoir-vivre – souci de ne pas abuser de sa patience ou honte de ne toujours pas avoir saisi.

 

L’enfant « classique » est policé – celui de CLIS dispose d’un « filtre » social moins étoffé, d’une « barrière » des conventions plus mince. Et c’est cela – justement - qui est intéressant pour celui qui se questionne sur sa pratique. Ce 'choc en retour', cette visibilité en direct sont passionnants. (L'enseignant de CLIS doit être - sans doute - un chouïa "masochiste". )

 

Expliciter les implicites c’est rendre du pouvoir aux élèves. C’est restituer le « surplomb » nécessaire à la réussite scolaire C’est leur faire saisir les enjeux de l'apprentissage.  L'enjeu cognitif – la réduction des inégalités sont là.

Donner à penser – encore et toujours, jusqu’à plus soif – voir par soi-même – fournir aux élèves les moyens de voler de leurs propres ailes - on en revient toujours là.

Donner les clés qui permettent de prendre part au monde.  

  le-moulinet---synthese-mathemtique.jpg

 

Placer le carré sur son sommet et non sur sa base est bien sûr un acte volontaire qu'il s'agit d'expliciter.

 

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(1) Élisabeth Bautier Patrick Rayou, les inégalités d'apprentissage, PUF, France, 2009, ISBN : 978-2-13-057527-6
(2)  A propos de l’activité et du leurre de l’apprentissage - sorte d’ « activisme stérile » :  « … une séance dans laquelle ils peuvent légitimement penser que l'issue d'une séance dans laquelle ils (les élèves) ont en effet déployé une énergie considérable. Du point de vue de ces derniers, la réalité paraît tout autre. Fournissant nombre de réponses erronées qui ne sont ni reprises ni retravaillées, beaucoup d'entre eux font comme si chaque question donnait lieu à une compétition dans laquelle l'essentiel n'est pas tant la justesse de la réponse que la justice par laquelle l'adulte garantit la régularité des confrontations. Il faut alors, tout en restant dans le cadre prescrit (lever le doigt, rester sur sa chaise, admettre le verdict), capter son attention en levant son ardoise le premier pour voir sa réponse écrite au tableau... Là où les maîtres pensent que le cumul des réponses légitimes construit du générique grammatical, beaucoup d'élèves font comme si chaque nouvelle question constituait un nouvel exercice dans lequel ce qui se conserve n'est pas tant la structure grammaticale que la règle du jeu et éventuellement la réputation du répondant. Ils s'inscrivent dans une logique de loterie dans laquelle le coup précédent demeure sans conséquence sur le suivant. » P 41

 

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  • : Le chêne parlant
  • : L'éclectisme au service de la pédagogie & L'art de suivre les chemins buissonniers. Blogue de Virginie Chrétien chrétien. Maître formatrice en lien avec l'ESPE de Lille. Rédactrice chez Slow Classes. Partenariat : philosophie Magazine. Écrivaine : La 6ème extinction - Virginie Oak.
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Introduction.

L’éducation, dans son étymologie même, c’est : «Educere, ex-ducere, c’est conduire « hors de » rappelle le philosophe Henri Pena-Ruiz dans Le Philosophoire. Charles Coutel parle quant à lui d'[Educarea] ēdŭcāre ‘prendre soin de l’ignorance de l’élève’. "Le rôle de l’éducation - dit-il - c’est de me disposer à mon humanité en moi grâce à mon instruction." Ecoutons George Sand… « Mes pensées avaient pris ce cours, et je ne m'apercevais pas que cette confiance dans l'éducabilité de l'homme était fortifiée en moi par des influences extérieures. » George Sand, La mare au diable, Folio Classique, 892, P 37. Ce blogue se propose de partager des outils pédagogiques, des moments d'expériences, des savoirs, des lectures, de transmettre des informations relatives à la pédagogie ordinaire et spécialisée, des idées d’activités dans les classes allant du CP au CM2 en passant par la CLIS. Enfin, on y trouvera aussi quelques pensées plus personnelles. « Notre savoir est toujours provisoire, il n'a pas de fin. Ce n'est pas l'âge qui est le facteur déterminant de nos conceptions ; le nombre de « rencontres » que nous avons eues avec tel ou tel savoir l'est davantage, ainsi que la qualité de l'aide que nous avons eues pour les interpréter... » Britt-Mari Barth, le savoir en construction. ________________________________________________________________________________________________ 1 Le Philosophoire, L’éducation, n° 33, P16 2 P 52, Britt-Mari Barth – Le savoir en construction – Retz – Paris – 2004 – Isbn : 978725622347

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