Longtemps, je ne comprenais pas le spleen. Une douleur insondable. Mais encore ? De quelle chair était faite la bestiole ? Etait-ce une névrose, une dépression ? De l’air en rareté dont on fait tomber les avions en plein vol ?
Une pathologie, m’assura-t-on. De celle foudroyant les poètes maudits, martelant l’âme d’une aiguille de fer. Une de ces sales maladies dont on ne peut s’imaginer atteint à l’âge tendre où l’on croit encore quelque peu – quoique de plus en plus rarement - en la véracité des paroles adultes.
Rien de commun, donc, avec ce vertige amer bloqué sous la semelle.
Commun en rien non plus - semble-t-il - avec la chaleureuse clarté de Dakar, « Dekk raw » 1*, ce « pays refuge » où les robes réjouissantes des femmes sénégalaises frissonnent de couleurs intenses, vibrent d’une noblesse joyeuse, se rient de l’extrême dénuement – attirent les regards avec malice telle la mousseline du tamarinier en hauteur du sol poudreux.
Ici, les rues sont de terre et d’eau. En cette saison des pluies, les voitures avancent avec lenteur, passent les chaos avec une subtilité infinie.
Par la fenêtre, le vacancier s’émerveille. La foule brouillante regorge de lumière. D’abondantes verticales bleues, jaunes, vertes, rouges, entrecoupent l’ocre sableux de courbes harmonieuses. On remarque les tissus frais, nets, cet art consommé de l’élégance.
« Se réjouir de sa condition humaine. » confie Abdoulaye - le guide. « Etre bien dans sa peau. Montrer que l’on est bien.» ajoute-t-il d’une voix lumineuse. « Il faut savoir voir derrière les beaux vêtements. Observer la condition des autres… La misère. »
Silence entrecoupé d’étoffes.
« Si vous êtes riches et que vous vous mettez à côté d’un pauvre, vous le fusillez. »
Noblesse sereine et muette.
« Si on est pauvre, on n’a pas besoin d’en avoir l’air. »
« Si l’on se plaint vis-à-vis d’un pauvre, on l’enterre.»
Retour à la bergerie d’Eden, quadrillée aux quatre vents par de solides gaillards.
A l’hôtel, jardiniers, serveurs, plagistes, piscinistes, barmans aux visages avenants souhaitent la bienvenue aux visiteurs. La valse des sourires en quête d’Europe accueille le touriste en mal de Paradis.
Debout derrière les fauteuils tressés, Laye, un peintre de talent sillonne l’écume des ventres gras que nous alimentons tous à divers degrés. Silhouette bohème toujours active. Expression joviale et enjouée.
Excès de sourire contre excès de misère ?
Tout à coup, l’œil aux aguets est saisi d’un vent crépusculaire. L’harmattan ? Un assèchement ? Une fatigue ? Un couchant vite étouffé sous un crépitement d’énergie. Un feu d’actions volontaires faisant revenir l’artiste aux fondamentaux, aux questions d’alimentation de base, essentielles. Marche en direction des nécessités marchandes.
Loin du spleen, de cette valse du ciel, ou si près ?
Un trou ? Un appel ? Inachevé – brouillant.
Oui, c’était bien cette affection toute anglaise et vaguement orientale**, ce chacal stagnant qui rôde.
--------------------------
*Le mot spleen a pour origine le mot anglais spleen (du grec ancien σπλήν splēn) qui signifie « rate » ou « mauvaise humeur ». En effet les Grecs, dans le cadre de la théorie des humeurs, pensaient que la rate déversait un fluide noir dans le corps : la bile noire, responsable de la mélancolie.
**
1* « Dekk raw », « pays refuge » est une étymologie possible en Wolof, l’autre étant l’arbre du Tamarinier (possible touchant la fibre sensible du Chêne, cela va sans dire).
------------------------------
Laye.
Exposition en France.