Lisez rapidement ceci :
Cet aiseau vert a vn joli bcc.
« A votre insu – explique Stanislas Dehaene - votre cerveau vient de résoudre sans effort toute une série de difficultés… le mot oiseau, les lettres « o » et « a » ont exactement la même forme… la voyelle « u » qui débute le mot « un » est en fait une consonne « v » … les deux lettres du mot « bec » sont les mêmes. L’ambiguïté est résolue par le contexte… l’interprétation « bec » convient à la fois du point de vue de la prononciation et du sens. » p 79.
Dans l’article précédent, nous avons repéré et explicité un certain nombre d’opérations effectuées par notre cerveau lors de la lecture. Le traitement s’effectue :
1) très rapidement,
2) en parallèle,
3) par bigrammes.
L'aire mobilisée est toujours la même, chez tous les lecteurs.
Mais après tout, repérer des mots en leur entier, apprendre des listes de mots, où serait le mal ? Pratiquer ainsi, ne serait-ce pas là compléter un dispositif syllabique existant, étendre le champ des voies d’apprentissages possibles ? Jouer sur tous les tableaux ? En quoi, après tout, serait-ce négatif ?
Pour y voir plus clair, voici le compte-rendu des expériences pratiquées par Bruce McCandliss, professeur à l'Institut Sackler de New York.
L’expérience est simple, Bruce McCandliss afin d’éviter tout effet parasite dû à une connaissance antérieure a créé un nouvel alphabet. Pour saisir le fonctionnement de ce dernier, il faut bien sûr connaître son mode de fonctionnement. La lecture commence du bas pour finir en haut. L’alphabet s’écrit « … à l'aide de lettres dont les traits et les courbes se touchent de sorte que leurs courbes forment un contour global continu. Voici quatre mots écrits dans cet alphabet : » (Page 298).
Ici, les mots ont trois lettres.
La lettre T est présente dans tous les mots. Mais elle n’a pas été donnée.
Le chercheur américain commença donc à faire mémoriser ces mots à différents groupes d’étudiants. Pour les uns, il s’agissait de les mémoriser globalement.
Quant aux autres, il leur révéla de quelle manière ces mots se lisaient, c’est-à-dire – rappelons-le - de bas en haut.
1 jour après : ceux qui lisaient en global connaissaient mieux les mots que ceux qui tentaient de décomposer les lettres.
La méthode globale serait-elle plus facile ?
N’allons pas trop vite. Poursuivons…
Le chercheur continua – jour après jour - à distribuer des listes de mots.
Chaque mot nouveau présentant une nouvelle difficulté de mémorisation, les étudiants lisant de manière globale devaient - à chaque fois - tout reprendre à zéro. Ceux – au contraire - ayant développé des stratégies de décomposition (analytique) commençaient à gagner du terrain. « L’identification des lettres et des graphèmes demande initialement plus d'efforts – nous dit Stanislas Dehaene - mais les bénéfices en sont vite évidents. » (1)
A la fin de l’expérience, vous vous en doutez, le différentiel de rapidité de lecture fut conséquent. Mais le plus important ne se situe pas là. Car après tout, me direz-vous en toute logique, cela confirme nos dires : apprenons des mots globalement en début d’apprentissage de la lecture et complétons par des stratégies syllabiques. Ainsi les élèves sauront plus rapidement repérer des mots – donc lire de petits textes – qu’ils pourront par la suite décrypter.
Nous gagnerons ainsi du temps.
Ainsi naquit la méthode mixte.
Soit l’apprentissage d’une liste (de 4 à 10) mots à mémoriser journellement, tout en pratiquant des décompositions de mots en lettres et syllabes.
Cette méthode semble tout avoir pour elle.
En effet, elle allie sens et décodage mécanique.
Au reste, sa pratique est assez courante, voire même s’est largement généralisée. Encore une fois, rappelons-le, tout ceci est fort cohérent – en effet – vu de l’extérieur.
Mais à y regarder de l’intérieur – par le biais de l’IRM – que voit-on ?
L’imagerie cérébrale met en évidence deux points qui remettent non seulement ce type de procédure en cause mais l’invalide.
Ces deux points sont d’une extrême importance :
1) C’est l’hémisphère droit qui s’active lors de la lecture globale.
2) C’est l’hémisphère gauche (l’aire occipito-temporale ventrale gauche, pour être précis) qui s’active lors de la lecture syllabique.
Et alors ?
Quel circuit cérébral mobilise-t-on pour lire?
Le problème se situe bien au niveau de la compatibilité des deux régions cérébrales.
Pour le dire autrement, l’une ne va pas avec l’autre.
L’hémisphère droit est spécialisé dans la reconnaissance des visages. L’hémisphère gauche étant spécialisé quant à lui dans le langage parlé et la reconnaissance typologique des formes dans l’espace (souvenez-vous des myriades de petits fragments que notre cerveau s’efforce de recomposer, trait par trait, lettre après lettre).
Or « les problèmes que posent la reconnaissance des mots ne sont pas les mêmes que ceux que posent la reconnaissance des visages et la mise en connexion n’est évidemment pas la même. » 1’09 de la conférence. « Chaque domaine de reconnaissance visuelle va avoir son propre territoire cortical. »
En gros, renforcer ou travailler l’hémisphère droit ne revient pas à renforcer ou consolider la construction de l’hémisphère gauche mais au contraire va venir affaiblir ce dernier, contrecarrer son élaboration, brouiller le message.
Un peu comme si afin d'améliorer votre endurance, vous suiviez à la fois un programme de course de fond, et un autre en sauts d’obstacles. Les fibres musculaires ne sont guère sollicitées de la même manière.
Invariablement, la puissance faisant travailler le muscle en volume, va venir contrecarrer le travail en longueur.
Pour en revenir au sujet qui nous intéresse…
« Autrement dit – affirme Stanislas Dehaene - l'apprentissage par la méthode globale mobilis[e] un circuit inapproprié, diamétralement opposé à celui de la lecture experte. » (2).
Stanislas Dehaene n’hésite d’ailleurs pas à intituler l’un de ses paragraphes : de « L'inefficacité de la méthode globale »
Message on ne peut plus clair.
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(1) et (2) Les neurones de la lecture, Stanislas Dehaene.
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Une forêt de neurones.