(On the Road New Mexico Christmas Day 2004 Painting - Chris Easley)
« Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers. »
Henri Michaux 1939.
Dean Moriarty est un explorateur enthousiaste, extraverti, amoureux de la vie, séducteur – magnétique - débordant de la saveur du chaos.
L’espace de Dean, c’est le démon de la route – la vie dévorée au kilomètre – les pulsions puissantes, radicales, la blancheur craquante des substances illicites, l’excès, l’orgie, l’abandon des corps aux contemplations érotiques.
Le mouvement est une poussée avide, étrangère au calme. Ça permet d’échapper à l’immobilité, au figé, à la pesanteur de la vie, aux responsabilités – à la tranquille lassitude – au ralentissement automnal – c’est un remède curant les démangeaisons, un cataplasme posé sur le vide urticant, camouflant la détresse.
La marche n’est-elle pas une suite de chutes anticipées de justesse ?
Dean est un astre brûlant à haute énergie, suivant son propre mouvement, sa trajectoire est sans destination précise. Il expérimente, n’en fait qu’à sa tête, dans un désir sans remède, celui qui l’assure au monde, ne redresse rien et lui évite à peine de se disloquer.
« Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? » demande-t-il à Sal Paradise – alias Jack Kerouac – son ami.
Que peut répondre Sal à ça ?
Que peut-on répondre quand on est dans la recherche multiple d’un chemin, en quête de soi ?
Au fond, rejoindre Mauriarty, épouser son orientation, c’est entrer dans un tournoiement, aller de l’avant. Eprouver le lever du soleil, sentir le tourbillon de l’univers où chaque départ brille d’un ‘Eternel retour’, celui de la flamme, du solaire, du démesuré. Du Sur-expressif. De la vie. En marche. Irrésistible emprunt d’émotions violentes.
(New Work - On The Road Again.)
Oui, ne pas stagner à l’ombre mauvaise, c’est suivre la lumière, se laisser transporter vers l’horizon.
Suivre la route du vent, à l’évidence, suivre la route – gêné par personne -, voguer sans obstacles jusqu’aux confins des sensations.
(On The Road Again - Janet Bludau.)
La route est un ruban d’éternité filant vers le ciel.
Dean – d’une certaine manière s’y accroche - aujourd’hui comme hier, s’exaspère d’attendre.
Son tempérament lui dicte de s’arracher au poison du présent. Etre dans le précaire – dans une sobre trajectoire. Se brûler sur l’asphalte, s’absorber à - toujours - suivre la direction indiquée par le goudron.
Se perdre dans l’amoncellement confus des distances.
Sans soucis. Sans s’en faire. Vraiment ?
A vouloir trop prendre et reprendre la route, la vaste agitation de la poussière laissée derrière soi finit par retomber.
La réalité physique de la droite - courbe dans l’espace - conduit le voyageur à boucler son périple. L’égaré retourne alors immanquablement à son point de départ.
Sal et Dean partent donc ailleurs, plus loin, vers le Mexique.
Mais cette fois, le vertige – l’ivresse de l’intensité... ont la saveur des terres déjà froissées aux pieds.
L’euphorie s’élève – certes – mais avec un je ne sais quoi de morbide, d’inutile, d’insensé. Une sourde fatigue surgit de derrière la fièvre. La route, dont la perspective semble désigner une hauteur, s’affaisse. L’étendue se vrille, se tasse et s’écrase - sans dénivellation. La ligne continue se barde de pointillés effilochés, trompeurs.
Sal Paradise sait lire ces feuilles de route. Sa conscience décèle la platitude de l’Electro-encéphalogramme, l’absurdité de la tentative, l’impasse.
A toute force, il refuse d’y croire. Il dérivera encore avec Dean. Dans un ultime élan, il avancera une dernière fois - sans rien gravir.
Saturé de fièvre, las, atteint de dysenterie, prostré dans une chambre sordide, il attend la dislocation.
L’enthousiasme organique de Dean ne se transforme pas, ne change pas, ne cultive rien. Son éternité c’est sa conduite tourmentée, inquiète, explosive. Démuni face à l’inertie, Dean disparaîtra, laissant Sal à ses ruines somnambuliques, l’œil teinté de goudron noirâtre, la pupille brouillée d’abandon.
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L’amitié cloque et crève sous la canicule d'un zénith crépusculaire.
Carte des trajets de Kerouac dans Sur la route :
- 1947
- 1949
- 1950
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Russel Banks et Jack Kerouac - une belle rencontre.