Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
9 juillet 2013 2 09 /07 /juillet /2013 09:00

 

Photo : Marcin Sacha

 

« Chaque être humain est une fiction, 

nous vivons en étant immergés dans nos propres fictions, 

englués en elles »

Imre Kertész

 

 

 

Deux théories s'affrontent au sujet de la connaissance souligne le physicien Etienne Klein. L’une la pense comme comblement, tel un seau à remplir. L’autre l’imagine subjective : effet de la projection de notre intellect sur le monde. 

 

La première apparente le savoir à une substance, une matière - objective - coulant vers l’individu, c’est le sens de « l’esprit-seau » du Théétète de Platon 1*. «… notre esprit est un seau, à l’origine il est vide ou à peu près et des matériaux rentrent dans le seau par l’intermédiaire de nos sens, ils s’accumulent et sont digérés » En gros, ici, apprendre c’est combler un vide. Telle une masse de grains plantés, élevés, croissants, puis récoltés au fil du temps, l’élève est  nourri – ou gavé à l’entonnoir - à grands mouvements injectant la substance de l’extérieur vers l’intérieur. 

Au fond, les savoirs pharmacologiques liés aux remèdes et poisons ne se sont pas conçus autrement. 

Par observation des animaux - notamment des oiseaux - les primates se sont représentés peu à peu, les baies a priori toxiques ou bienfaisantes. L’absorption infinitésimale d’une partie la plante a fait le reste. Quantités parfois douloureuses,  à l’issue radicale, résumant assez bien l’intrusion d’un réel objectif -  extérieur sonnant et trébuchant - au sein de l’organisme.

 

La seconde fait des connaissances une vue de l’esprit. C’est la vision d’un monde projeté par les méninges sur le grand écran des paupières closes. Un univers à la Matrix où la réalité est pensée à partir des perceptions du sujet en un courant allant de l’esprit vers l’environnement. Idées éminemment spéculatives, subjectives donc, par essence. 

Platon dans Le Ménon et la République avec son allégorie de la caverne 1* reprend cette idée d’une connaissance prisonnière de la boîte crânienne du sujet (bien qu’ici, il soit possible d’en sortir). L’individu, croyant avoir affaire au réel est en réalité assis au milieu d’une grotte, observant un cortège de simulacres projetés sur la roche, visualisant un paysage aussi puissant qu’absurde – non dénué de séductions. Afin d’accéder au réel, il devra s’extirper de cette machine à phantasmes. Peu pourront s’en tirer, d’où leur caractère d’Elus. Platon les nomme ‘Philosophes Rois’. Seule voie possible : se saisir, posséder la pilule de l’esprit critique, laquelle est directement liée à l’intellect. 

 

Extrait tiré de l'Agora des savoirs - "Esprit-seau" du Théétète de Platon. 

Comment savons-nous ce que nous savons ? Étienne Klein.

 

 

 

En éducation, l’effet Pygmalion semble appartenir à cet ordre. Les psychologues Rosenthal et Jacobson savent transformer - sur plusieurs années tout de même - des enfants aux résultats passables voire médiocres en bons élèves, rien qu’en intervertissant des dossiers ou en collant l’étiquette ‘surdoués’ sur ces enfants en quasi échec scolaire. (L’expérience est attestée, ses résultats mainte fois vérifiés.)

Alors ? Suggestion heureuse ?

Effet miraculeux de qualités projetées sur la rétine des professeurs ? 

Des chercheurs n’hésitent pas à parler sérieusement de prophétie autoréalisatrice, sans déceler ni la part de magie ni l’enveloppe de mystère contenues dans ce vocable. Il suffirait donc de penser très fort… très positif… bon… excellent…  pour – telle la méthode Coué - voir l’élève changer d’état ? 

Il y a pire.  « Dans la journée – nous indique l’économiste Claudia Senik - ou dans la semaine donner  aux enfants l’impression que ce qu’ils font c’est bien. Qu’on est satisfait d’eux … ils engrangent le sentiment qu’ils sont performants. Que quand ils entreprennent quelque chose eh bien ça marche. Que c’est bien… de se sentir bon et assez sûr de soi. Apprendre la confiance en soi. Construire l’estime de soi.» 2*… 

Apothéose absurde, en enclenchant une énorme soufflerie à positivité, on augmenterait de manière significative les performances intellectuelles.

Dispenser un courant d’air à estime de soi serait non seulement bon pour soi-même - Comment pourrait-il en être autrement ? - mais suffisant pour neutraliser les mauvaises pensées ; indispensables au maintient de quelques sensations agréables - propices au dépassement, à la construction de la réussite, à la conservation de l'âme sensible - bénéfiques, enfin, à l’édification du bonheur. 

Se projeter vers le positif. « Dire aux gens la vérité et le faire avec enthousiasme. » 2* créerait-il un changement radical ? 

La « Fonction de transformation des circonstances en bonheur » 3* serait-il la clé de l’élève heureux, motivé, besogneux,  efficace dans son travail ? 

Valoriser constituerait donc la recette de la réussite scolaire ? 

 

C’est voir la chair de poule lorsqu’il s’agit d’étudier la peur qui l’a causée.

Autrement dit, s’attacher à l’effet de surface au détriment du phénomène. 

 

Marseille 2016 - rue du puits

 

Primo, reconnaît volontiers Anne Chemin, « Les américains sont les plus confiants du monde. » Cette certitude  élève-t-elle leurs résultats et donc immanquablement ceux de leur système scolaire ? L’hyper confiance en soi-même agit-elle comme un moteur ou comme une glu ? Le sucre et le caramel ne satisfont-ils point les papilles de sorte qu’ils anesthésient tout autre recherche gustative ? 

Le système américain fortement inégalitaire, aux résultats moyens et hyper valorisant rend-il l’élève plus performant ou l’enferme-t-il dans un piège ? Celui critiquable du repus de lui-même, ne cherchant plus à se dépasser. Le français a patouillé lui-même dans la guimauve, lorsqu’il s’est agi dans les années 1970 - 80 d’apprendre l’anglais. Pourquoi se gorger de cette matière – barbare - quand la saveur fruitée du raffinement et de l’excellence nous submerge ? 

Il serait assurément stupide de changer de restaurant. On se gave de ces plats pétris de miel jusqu’à en devenir obèses de contentement. Mous.

 

Secundo, pour en revenir à l’effet Pygmalion, c’est bel et bien l’élève, qui, par une estime de soi augmentée mais aussi - et surtout - par loyauté* envers le maître ‘croyant en ses compétences’, que ce dernier va redoubler de travail et donc finir par accéder à la hauteur prédite.   

 

Connaître, pour Paul Claudel dans son Art Poétique, c’est naître avec. 

« Co-Naître » 4*. Naître à la réalité se conçoit à la fois comme une délivrance de la matière et un accomplissement de l’esprit. L’aboutissement d’un travail visible.

Cela revient à couper un morceau de pain entre pairs – ce qui est le sens du mot co-pain – compain, partager entre compagnons – à s’en nourrir, à en digérer la substance.

Mais également à « réaliser, souligne le sinologue François Julien, […] prendre conscience de l'évidence » 5*. Repérer le courant sous la vague, le bruissement du silence dans une mélodie, l’ombre attachée à nos pieds. Identifier la présence du spectaculaire sous l’ordinaire simplicité du quotidien, là, reconnaît Ludwig Wittgenstein 6 * dans ses remarques mêlées. Si proche, précisément, qu’on n’en discerne plus les contours. 

C’est-à-dire au milieu du sens qui s’impose naturellement ou au contraire de l’incommunicable, du vague, de l’indéfini, se saisir d’un éclairage, d’une précision qui nous rend non pas voyant – ce serait trop beau - mais capable d’appréhender momentanément une part du monde. 

De se représenter le réel un chouïa plus proche de ce qu’il est.

 

- Extrait tiré de l'Agora des savoirs - 'La coupure Galilléenne'

"Expliquer les lois physiques par l'impossible." Alexandre Koyré.

On peut avoir raison contre les faits.

Comment savons-nous ce que nous savons ?

      Étienne Klein. 

 

 

 Non pas en une réalité arrangeante, indulgente envers soi-même et les autres, se contentant de la surface, gnan-gnan, dirait Frédéric Schiffter mais en une cruauté à la Clément Rosset, de celle qui ajoute de manière éphémère à la distinction des phénomènes – sans complaisance 7*.  A voir ce regard en biais, saisir cette perspective – parfois et même souvent contre intuitive – cette coupure galiléenne permet d’avancer, de cheminer, de distinguer par le « sonner faux » ce qui se trouve sous nos yeux. 

 

- Extrait tiré de l'Agora des savoirs -

Comment savons-nous ce que nous savons ? 'Une loi physique sonne faux'.

Étienne Klein.  

 

L’objet réel prend la forme fantasmée par nos sens  et nos affects sans invalider sa présence effective. 

 

Dans ses  « quelques gouttes de phénoménologie », José Ortega y Gasset partage avec nous l’incroyable voyage de son esprit à travers la pensée. L’idée d’un monde visiblement différent suivant les perceptions du sujet est connue. On ne laisse pas de s’interroger sur la vision en noir et blanc des souris, les perceptions dichromatiques en bleu et rouge des chats,  les fossettes thermosensibles du crotale. 

 

L’analyse du philosophe est plus fine, lisez plutôt :

Une célébrité vit ses derniers instants, nous conte l'essayiste. Son épouse, son médecin, un journaliste et un peintre fixent la scène. La traduiront-ils avec la même émotion, parleront-ils le même langage ?  On en doute... La compagne du moribond vit les choses plus intensément, et prise de palpitations, elle accompagne l’âme souffrante dans un malaise généralisé - mélange de fièvre et d’horreur. Les cœurs du journaliste et du peintre, quant à eux, palpitent de la fièvre pénétrante d’un événement majeur auquel ils ont l’infime honneur d’assister.  Leurs excitations sont saturées du compte-rendu qu’ils vont pouvoir en tirer.

Enfin, le médecin est éreinté du poids de sa responsabilité - plein d’une tension fébrile ; torturé par la crainte de voir sa réputation entachée de la fameuse  ‘Erreur médicale’. Ecrasé de sa mission, le spécialiste fixe le moribond, tournant mille remèdes dans sa tête – confus des choix qu’il doit effectuer et de leurs possibles conséquences.    

 

« La différence – écrit José Ortega y Gasset - entre ce qu’il est pour la femme transie de douleur et pour le peintre qui, impassible, regarde la scène, est si grande qu’il serait presque plus exact de dire que l’épouse et le peintre assistent à deux faits complètements différents. » 

 

                On n’en finit pas de s’arracher au monde 

                  par les oscillations de notre esprit aux sensations vacillantes.  

 

      Merci à Julie de Waroquier de son gracieux accord. 

 

----------------------

 

* A mon sens, cet effet de loyauté est sous-estimé. C’est par loyauté envers des parents ‘croyants’ en eux que bons nombres de garçons s’engouffrent dans les filières scientifiques ou s’accrochent coûte que coûte aux études supérieures et redoublent d’efforts.  Attribuer la réussite à l’exclusive de l’attitude du maître est donc absurde. C’est bien par saisissement du sujet de son destin, lequel empreint de responsabilité va travailler d’arrache-pied que ce dernier va accéder à la réussite.   

 

1 * Pour Platon, apprendre c’est combler un vide.

Article de blogue écrit par Chevet dans le Philophore à partir du livre Des sources de la connaissance et de l’ignorance de Karl Popper (1960).:

« … c’est la théorie de « l’esprit-seau » : la connaissance n’est qu’une information reçue par l’intermédiaire des sens (thèse sensualiste déjà évoquée par Platon dans le Théétète) »

 

Pour Platon – apprendre, c’est d’abord se ressouvenir. La connaissance est réminiscence.

Article de blogue d'Eric Chevet 'Le Philophore' :

Chapitre 7 : Du platonisme : la théorie de le réminiscence et le mythe de la caverne. (p. 47à la page 57)

« En effet, selon le Ménon de Platon, (81b-d) l’âme humaine, avant de naître existait et pouvait en tant que pur esprit, contempler les vérités et connaissait toutes choses. En naissant, notre âme s’incarne, elle épouse un corps et delà oublie toutes ces vérités autrefois contemplées du fait que sa connaissance est prisonnière de la perception sensible. Mais par la philosophie (la métaphysique), par une ascension spirituelle vers les vérités universelles, nous pouvons aider notre âme à retrouver les vérités que nous savions auparavant. Nous reconnaîtrons alors la vérité parce que la connaissions déjà : la découverte de la vérité est chez Platon une redécouverte : comme le dit Popper page 52 : « toute connaissance est une re-connaissance » »

 

 

2* Claudia Senik: ''L'autoflagellation, cette exception culturelle française'' Claudia Senik » 

 

3* B* - Claudia Senik, auteur de l'étude "Le mystère du malheur français"

« Fonction de transformation des circonstances en bonheur ». 

Selon Claudia Senik, il y a un lien entre croissance et bonheur. 

« Les gens qui passent par l’école sont moins heureux. »

 

3 ** Ce mal français de la morosité - La Grande Table (1ère partie) excellente émission de Caroline Broué.  France Culture  .

Anne CHEMIN - Sylvie LAURENT - Mathieu POTTE-BONNEVILLE

 

4 * Claudel et l’étymologie, Marie-François Guyard – p 286 à  289 ; in revue Persée :

 L’ Art Poétique, Traité de la Co-Naissance au monde et à soi-même. (1904) Paul Claudel.

« Nous ne naissons pas seuls. Naître pour tout, c’est connaître. Toute naissance est une connaissance. 

     Pour comprendre les choses apprenons les mots qui sont dans notre bouche l’image soluble. Ruminons la bouchée intelligible. La parenté est certaine qui relie les idées dans trois langues d’ acquérir par l’esprit et de surgir ; genoumai et gignôsko, nasci, gignere, novi, cognoscere, naître et connaître. » […]

Claudel établit pour Marie-François Guyard, trois sortes de connaissances : 1) la connaissance brute, celle « de la constatation des rapports qui sont entre les choses. » . 2) La connaissance de constatation. 3) la connaissance intellectuelle. [Claudel et l’étymologie ; Marie-François Guyard  p 289]

 

5 * François Jullien. « est plus précis que le simple « prendre conscience » (qui vaut aussi pour la connaissance) : réaliser , c'est prendre conscience, non pas de ce qu'on ne voit pas, ou de ce qu'on ne sait pas, mais au contraire, de ce qu'on voit, de ce qu'on sait, voire de ce qu'on ne sait que trop – de ce qu'on a sous les yeux; réaliser, autrement dit, c'est prendre conscience de l'évidence » p 119

 

6 * « Comme il m'est difficile de voir ce que j'ai sous les yeux », 

« Les aspects des choses qui sont les plus importants pour nous sont cachés à cause de leur simplicité et de leur familiarité » (Recherches philosophiques, I). » Wittgenstein dans ses remarques mêlées éditées en 1940.

 

7* Clément Rosset – La force majeure – Les éditions de minuit – collection critique – isbn : 978-2-7073-0658-6

« Cioran remarque au passage, dans La chute dans le temps, que « la cruauté en littérature tout au moins, est signe d’élection ». J’ajouterai quant à moi que la cruauté est de toute façon marque de distinction, et ce dans tous les domaines, - à entendre bien sûr par cruauté non un plaisir à entretenir la souffrance, mais un refus de complaisance envers quelque objet que ce soit. » p 26.

 

«  … comme s’il pouvait suffire d’une découverte scientifique ou d’une meilleure organisation sociale pour arracher les hommes à leur nature insignifiante et éphémère, autant dire d’une amélioration de l’éclairage municipal pour triompher du cancer et de la mort. » p 29. 

 

8 * Lev Vygotski – Pensée et langage – p 235 : « La loi génétique supérieure – dit Gesell – est apparemment la suivante : tout développement présent est fondé sur le développement passé. Le développement n’est pas une simple fonction, entièrement définie par x unités d’hérédité plus y unités du milieu. C’est un complexe historique, reflétant à chaque stade donné le passé qu’il inclut. En d’autres termes, le dualisme artificiel du milieu et de l’hérédité nous fait fausse route. Il nous masque que le développement est un processus continu qui se conditionne lui-même, et non une marionnette tirée par deux fils. » A Gesell, Pedologija rannego vozrasta [pédagogie de la petite enfance], Moscou, Léningrad 1932, p. 218.

Lev Vygotski – Pensée et langage – La dispute. Paris 1997 ; Isbn : 2-84303-004-8

 

 

9 * Quelques gouttes de phénoménologie

Un homme célèbre agonise. Sa femme est à son chevet. Un médecin prend le pouls du moribond. Dans le fond de la chambre, il y a deux autres personnes : un journaliste, qui assiste à la scène mortuaire pour raison professionnelle, et un peintre, que le hasard a conduit là. Epouse, médecin, journaliste et peintre sont témoins d’un même évènement – l’agonie d’un homme – s’offre à chacun d’eux sous un éclairage différent. Ces angles d’approche sont si différents qu’ils ont à peine un noyau commun. La différence entre ce qu’il est pour la femme transie de douleur et pour le peintre qui, impassible, regarde la scène, est si grande qu’il serait presque plus exact de dire que l’épouse et le peintre assistent à deux faits complètements différents. 

Il en ressort donc qu’une même réalité se fractionne en une multitude de réalités divergentes lorsqu’elle est observée depuis différents points de vue. Et l’on en vient à se demander laquelle de ces réalités multiples est la réalité véritable, authentique ? Quelle que soit notre décision, elle sera arbitraire. Notre préférence pour l’une ou pour l’autre ne peut être fondée

que sur un caprice. Toutes ces réalités sont équivalentes, chacune est authentique selon le point de vue adopté. 

[…] la femme participe à la scène, elle en est partie prenante.

P 25 : L’épouse, donc, n’assiste pas à la scène, mais y est intégrée ; elle ne la contemple pas, elle la vit. 

Le médecin se trouve un peu plus éloigné. Pour lui, il s’agit d’un cas professionnel. [Il est impliqué professionnellement… le journaliste observe pour relater, il contemple, il fait semblant de vivre la scène pour mieux en rendre compte…Le peintre perçoit les couleurs, l’ambiance] p 23.

 

José Ortega y Gasset – La déshumanisation de l’art – éditions Allia.

 

Julie de Waroquier - Exposition Midi-Pyrénées.

--------------

 

 

 

 

------------

Etes-vous prêts à entendre la vérité, rien de plus ? 

 

Humour - Mozinor . 

 

 

Partager cet article
Repost0
23 juin 2013 7 23 /06 /juin /2013 05:37

 

Bruegel--La-Parabole-des-aveugles--1568.jpgL’  «esprit et l'existence sont des reflets de la culture

et de l'histoire tout autant que la biologie

et les capacités physiques. […]  

La culture donne forme à l'esprit »,

Jérôme S Bruner,

Esthel, Paris, 1991

 

A chaque décennie, tout devient moins bien, les années retranchent, enlèvent, abaissent, rendent les connaissances imprécises. Montée en spectre des faiblesses, des retards, de l’inconsistance… Le temps est une malédiction où la matière est forcément perdante, où l’intelligence s’altère, où la cervelle se détache en cinquante nuisances de gris : flétrissure, ralentissement, fatigue, pensée trouble, paresse du souvenir, indolence, initiative en berne, frilosité...

 

Sauver – ce qui peut l’être encore. Eviter les plus graves inconvénients.

Combattre les sournois assauts à force de vitamine E, absorption de pilules et autres coaches sportifs employés à haute dose. Dieu merci, les machines et artifices de toutes sortes destinés à conjurer le ramollissement cellulaire - et à effacer les plis - existent. Investissement frénétique, pour se faire un masque acceptable. 

 

Est-ce que ça le vaut bien ? Ou est-ce repeindre les murs à l’or fin lorsqu’il y a des trous dans le plafond ?     

 

En archéologue du présent et en conservateur du porte-monnaie, l’homme finit par creuser la question. L’érosion est-elle inéluctable  ? Vivre longtemps constitue-t-il vraiment un inconvénient ? 

 

Fini l’artifice – l’espoir – direction la science  avec Catherine Vidal pour guide. 

 

Catherine Vidal – 1*

      Catherine Vidal  – La plasticité.

Conférence Citephilo du 20 décembre 2012 - Salle d'Anchin, Douai.     

"Chaque neurone est connecté à 10 000 autres.

Nous avons 100 milliards de neurones.

90% de nos synapses se fabriquent après la naissance.

L’interaction avec l’environnement et l’apprentissage sont primordiaux dans la construction de notre cerveau.

L’apprentissage entraîne un épaississement des régions du cerveau. Ce dernier est proportionnel au temps passé."

 

L’inconvénient se fragmente. L’âge résonnerait-il comme un avantage ? C’est le parti pris de Régis Debray 2* « le radoteur, à son insu, innove. C’est en oubliant qu’on répète, c’est en se souvenant qu’on invente. » p 107. La faculté de juger, la construction critique se forgent avec lenteur, savoir-faire. C’est moins la frappe de l’acier sur l’enclume qui révèlera les qualités insoupçonnées de la matière que la dextérité avec laquelle la main gauche tournera la lame, présentera le métal au travail du marteau ou l’en extraira. L’expérience fonde la réputation du forgeron. 

 

Parcourir le monde – en flânant, de large en travers – loin d’anéantir le savoir l’affine donc, aiguise la réflexion. La complexité des lieux s’archive dans les mémoires. 

« Archive, détail piquant – souligne Régis Debray - vient de archè, en grec, le début (continuons le combat). » p 46 

 

L’espace s’enrichit de perspectives. 

 

Catherine Vidal  - Déterminés par la biologie ou le culturel ? 

 

"Le développement du cerveau n’est pas contrôlé de façon stricte par un programme génétique."

 

Vidéo  - Interaction avec le monde social.

 

 « Chez l’adulte – souligne la Directrice de recherches au CNRS - on estime à un million de milliards le nombre des synapses ! Or, pour atteindre ces chiffres astronomiques, seulement six mille gènes interviennent dans la construction du cerveau. Ce n’est manifestement pas assez pour contrôler la formation de chacune de nos milliards de synapses. Ces observations montrent que le devenir de nos neurones n’est pas directement dépendant du programme génétique. » 4* p 26.

 

Sur la carte de l’intellect, un monde émerge. « Le cerveau se modifie en fonction des expériences de chacun… »     

 

 Redon et les astrocytes – Jean Claude Ameisen.

 

Le gai savoir s’inscrit en un parcours fait de pierres, de vie, de verdure, de ruines, de montagnes et d’ombres dont les plis donnent du relief – une densité - nous renseignent sur les obstacles, les couleurs du terrain, nous aident à nous situer. La carte, lentement dressée - a la puissance d’un plan Le temporel aigre-doux, courbe, borde et dégage la nature du sol. L’œil devient vision : mesure les distances, identifie les pièges et les précipices, prévient des égarements, permet les retours. La trajectoire devient visible – au moins jusqu’à l’horizon. 

 

             Au fond, l’âge – l’expérience –  dessinent l’accident sur lequel on se trouve. Un paysage où l’on se promène, s’abandonne avec lenteur au sens, au jugement sûr, où l’on verse vers la clairvoyance.  

 

                   La vieillesse, n’est-ce pas la liberté, n’est-ce pas marcher non aveuglément ? 

 

-------------------------

 

 

 

 

      1 * « Quand le bébé humain voit le jour, il possède cent milliards de neurones qui cessent alors de se multiplier. Mais son cerveau est loin d'être terminé, car les connexions entre les neurones, ou synapses, commencent à peine à se former : seulement 10% d'entre elles sont présentes à la naissance. Les 90% restantes vont se construire progressivement jusqu'à l'âge de quinze-vingt ans. Dans un cerveau humain adulte, on estime à un million de milliards le nombre de synapses qui relient nos cent milliards de neurones ! En moyenne, chaque neurone est en communication avec dix mille autres. » p 66-67

 

 « … le cerveau n'est pas d'emblée câblé comme un  ordinateur et que rien n'est irrémédiablement figé. On parle de « plasticité » pour qualifier cette propriété du cerveau à se modeler en fonction de l'expérience vécue. » p 68.

 

« Cette plasticité cérébrale est à l'œuvre dans la vie quotidienne pour assurer l'apprentissage et la mémoire, mais aussi pour compenser des défaillances en cas de lésions cérébrales. Notre vision du cerveau est désormais celle d'un organe dynamique qui évolue tout au long de la vie. 

[…] Chez les violonistes, on observe un épaississement des régions spécialisées dans la motricité des doigts ainsi que dans l'audition et la vision. [G. Schlaug, « The brain of musicians : a model for functional and structural plasticity », Ann. NY Acad. Sci. Vol 930, 281-229, 2001.] De plus, ces modifications du cortex sont d'autant plus grandes que l'apprentissage du violon a commencé tôt. Le maximum est situé entre cinq et dix ans, c'est-à-dire à une tranche d'âge où la plasticité cérébrale est particulièrement prononcée. Mais, attention, cela ne veut pas dire que les enfants qui commencent le violon plus tard seront de moins bons musiciens. Simplement, d'autres stratégies d'apprentissage seront mises en jeu et d'autres régions cérébrales seront recrutées. » p 74.

 

« Les capacité d'apprentissage sont spectaculaires chez les enfants, mais peuvent l'être tout autant chez l'adulte. 

.. des individus qui apprennent à jongler avec trois balles : après deux mois de pratique, l'IRM montre un épaississement des régions spécialisées dans la vision et la coordination des mouvements des bras et des mains. Et si l'entraînement cesse, les zones précédemment épaissies régressent [B. Draganski et al., « Changes in grey matter induced by training », Nature, vo. 427, 2004, 311-312, 2004.].  Ainsi, la plasticité cérébrale se traduit non seulement par la mobilisation accrue de régions du cortex pour assurer une nouvelle fonction, mais aussi par des capacités de réversibilité quand la fonction n'est plus sollicitée. » p 75-76.

 

« L'ensemble de ces résultats illustre la dynamique du fonctionnement du cerveau dont les connexions se réorganisent en permanence dans le temps et dans l'espace, selon l'expérience propre à chacun.  [F. Ansermet, P. Magistretti, A chacun son cerveau, Odile Jacob, 2004.] Il en résulte qu'aucun cerveau ne ressemble à un autre. » p 78-79.

 

Sylviane Giampino et Catherine Vidal, « Nos enfants sous haute surveillance, Albin Michel, 2009, ISBN : 978-2-226-18999-8.

 

3*  Régis Debray - Le bel âge - Café Voltaire - Flammarion. 

 

4* Catherine Vidal, Hommes femmes, avons-nous le même cerveau ? Les petites pommes du savoir – Le pommier – Paris – 2012 – 978-2-7465-0625-1

 

-----------------------------

SITES

LDH Toulon

Citephilo - conférence salle d'Anchin à Douai du 20 décembre 2012 de Catherine Vidal.

Cerveau, sexe et préjugés. 

 


----------------------------

Rien n'est joué.

 La plasticité cérébrale ou la régénérescence du cerveau:

Pierre-Marie Lledo at TEDxParis 2012

       

Partager cet article
Repost0
19 juin 2013 3 19 /06 /juin /2013 10:15

 

 

Une fois n’est pas coutume, sortons des bois pour accoster sur les rivages du blogue de Roland Jaccard dont le dernier billet décapant les idées reçues « UN DANDY DANS LA TOURMENTE. » est consacré à Albert Göring.

 

Albert, le frère d’Hermann est le mouton noir de la famille. Chant dissonant, le météore siffle au-dessus des bassesses ordinaires. Sa sin_gularité – entité distinctive du nombre -  ferme et instruite au sein du carnage, marquée d’une sourde résistance - est suffisamment originale, déplaisante aux âmes obtuses, provocatrice de ruptures, pour qu’elle fasse indubitablement partie des nuances défendues sur ce blogue.  

 

-------------------------------

Albert Göring, héros ignoré de la Seconde Guerre mondiale, deviendra peut-être un "Juste" – France 24.

 

 

France Info. 

france-info.JPG

Partager cet article
Repost0
12 juin 2013 3 12 /06 /juin /2013 10:35

 

Ernest-Pignon-Ernest---Le-Christ--pleure-par-les-anges---d.jpg 

 

Il est mille façons d’empoisonner le discernement. 

 

Celui d’abord, dénoncé avec brio par Thomas Berhard : « En fait les gens, dans les musées, commettent toujours l’erreur de projeter trop de choses, de vouloir tout voir, si bien qu’ils vont, ils vont, et ils regardent, ils regardent, puis soudain, tout simplement parce qu’ils se sont gavés d’art, ils s’effondrent. […] Le profane va au musée et se le gâche par excès », écrit-il dans « Maîtres anciens » p 164. 1*

 

A cet emportement, cette précipitation ôtant la vue et brouillant la pensée du visiteur de musée, s’ajoute l’aveuglement  dû à l’exposition même. Le procédé consiste à monumentaliser les entrailles de l’artiste, lesquelles trônent bientôt en Chef-d’œuvre. 

 

Vertige assuré.

Tout est fait, il est vrai, pour élever le niveau. 

 

Le tableau habillé d’or est accroché sur fond crème sublime ou rouge titanesque.

La composition aboutie, au fini équilibré, solide, sûr dans son exécution,  impeccable, domine le spectateur tel le palais ou la cathédrale écrasant le sujet.   

Ainsi l’œuvre frappe-telle - fait-elle autorité, règne en maître. Sceptre foudroyant d’un roi sacré par son excellence. Nous sentons sous le vernis, la pâte du génial artiste, son trait expert, rapide, n’ayons pas peur des mots, sa virtuosité, son inspiration Divine. 

 

Le génie est né. Décalé, excentrique – c’est-à-dire hors centre, supra- ordinaire. Salvador Dalí au Veston aphrodisiaque ne démentirait pas.

 

 

 

 

La science de l’artiste se fait fulgurante - cosmique - infuse. Congénitale.

 

 

 

C’est qu’à « jouer au génie, on finit par le devenir ». Ses intuitions satinées  imposent le respect. 2 * 

 

La bêtise se caractérise par le ton péremptoire de l’auteur. On y lit une forme d’emportement, de lourdeur. Des notes faites de certitudes – sans questionnement - sans nuance. Une démesure. 

 

Ernest-Pignon-ernest-d-apres-Nicolas-Poussin---Le-massacre.jpg

C’est contre cette idée fort répandue de l’œuvre fusant d’un trait – aisément - sans travail, coulant d’une cervelle intarissable que se dresse l’exposition « Traits de génie ». Une démarche rare, une inversion 4* où les ébauches, l’appétit d’étudier, de tester, de comprendre, s’épanouissent en pleine lumière. Un événement, donc.

 

« Mes dessins réunis dans l’exposition sont comme une quête, une interrogation – énonce Ernest Pignon Ernest dans le guide de la visite – dessiner pour voir, dessiner pour comprendre. »

 

La peine du peintre, les esquisses hésitantes, ses doutes, ses menus effacements – la rouille obscure, le travail de fond – nous en discernons enfin la substance. 

 

Tout cet itinéraire menant à la composition définitive, tout ce qui d’ordinaire nous échappe, nous le voici plaisamment balancé en un lieu en rien commun. 

 

              Le brouillon nous gagne là – au milieu du crâne – comme une morsure de rappel. 

 

Ernest Pignon Ernest - Etudes détaillées - Palais des BeaErnest Pignon Ernest - détail     

--------------------

 

1 * Thomas Bernhard – Maîtres anciens – Folio – Gallimard – isbn : 9782070383900.

 

 

2 * « Il n’y a pas de différence (au plus haut niveau) entre la froide intelligence spéculative et l’intuition de l’artiste. Il y a quelque chose d’artistique dans la découverte scientifique 

et quelque chose de scientifique dans ce que les naïfs nomment les « géniales intuitions de l’artiste ». 

 (Umberto Eco, De Superman au surhomme, Paris, Livre de Poche, 1995) Claudine Cohen (1)

 

3* Musée des Beaux Arts de Lille.

 

4* « La mise à l’envers » p 55.

 

Il suffit d’inverser la hiérarchie et de faire un art dans lequel les évènements de la vie les plus infimes apparaissent au premier plan, soulignés avec un air monumental. […]

« Infraréalisme » 

L’ascension poétique peut être remplacée par une immersion en dessous du niveau de la perspective naturelle. Les meilleurs exemples qui illustrent comment, en poussant le réalisme à l’extrême, on le dépasse – tout simplement en prêtant attention, la loupe à la main, aux choses microscopiques de la vie -, ce sont Proust, Ramon Gomez de la Serna, Joyce ?

[…] Le procédé consiste simplement à donner le premier rôle du drame vital aux bas quartiers de l’attention, à ce que nous négligeons d’habitude. Giraudoux, Morand, etc. appartiennent, chacun à leur manière, à la même équipe lyrique.  P 52-53. José Ortega y Gasset – La déshumanisation de l’artAllia

      ---------------------

 

Palais des beaux Arts - Document pédagogique.

 

Prolongement-pedagogique---1er-degre-JPG 

 

Lille Infos

 

Pour rappel ... (Pour plus de détails) 

 

 

 

Bouleverser le regard : 

 


Partager cet article
Repost0
8 juin 2013 6 08 /06 /juin /2013 05:04

Ernest-Pignon-Ernest.jpg

 

« La dernière démarche de la raison n’est-elle pas de reconnaître

qu’une infinité de choses la surpassent ? »

Pascal. 

 

 

Le citadin entre dans la torpeur du trajet à but précis, la conscience clouée au sol, la pensée semi-comateuse. 

Flâneur d’une vie sans progrès, errant entre les murs dévorés par le vent, l’homme trace sa route sur des kilomètres de bitume - gisements nécrosés n’amenant aucune subtilité, aucune question, aucune envie, aucun principe, aucune conclusion.

La Ville est un condensé de tout ce que peut produire l'apocalypse de la croissance. En périphérie, des grues rouillées s'alignent en cavalerie d’outre-tombe. Au centre, des architectes élèvent au rang de monuments des structures bétonnées où s'entassent les travailleurs précaires prêts-à-dépenser à temps plein, cubes vaniteux contre lesquels des pots d’échappements vomissent des gaz étouffants à doses régulières - certains plus rapidement que d'autres - creusant une fosse commune. 

 

Le marcheur urbain passe, l’œil flottant à la surface du bâti, dénué de volonté apparente, anesthésié, pris d'une torpeur rugueuse, le regard soudé aux murs ou en Dialogue avec ses pieds.

Puis, au détour d’une pensée négligente. Au soir d’un parcours fade. 

L’effraction heurte – jette toute la réalité du monde à la figure. 

 Ernest-pignon-Ernest---Naples.jpg

« L’art doit surgir là où on ne l’attend pas, quelque part dans quelque carrefour. » nous confie Ernest Pignon Ernest citant Jean Dubuffet.  

 

Ce n’est pas qu’une question de surprise, bien sûr. Il y a une autre dimension, n'est-ce pas ?  

Lentement, les yeux se jettent sur le cadre de papier, pénètrent dans le domaine broussailleux de la représentation. Les combinaisons du neuf et de l’ancien, du simple et du complexe, du sacré et du païen restaurent les couleurs des pensées daltoniennes. 

 

“Je fais remonter à la surface enfouie les souvenirs oubliés, je réactive leur potentiel symbolique” 1*.

 

L’image de soie fragile franchit les friches de l’oubli. Le dessin devient impression, émanation des lieux même, bruisse d’un écho particulier, comme si chaque parcelle, chaque centimètre de brique, chaque atome, avaient été instruits, habités de l’endroit. 

Le sens gît ici. 

 

« Il fallait que je saisisse les lieux. Me saisir de tout le potentiel poétique la force suggestive des lieux… ou des évènements et de l’exacerber.  Je prends les lieux […] J’essaye de comprendre l’espace. 

Je provoque des espèces d’interactions. Ma palette, c’est le souvenir du lieu – dans sa qualité plastique et son potentiel suggestif. »  

 

 La représentation réverbère le soleil en pluie d’encre brume, aérienne. L’idée coule sur le bitume en clapotis léger, foulés à l’air, fouettés au soleil. 

 

Description viscérale :

 

La façade se ravale de l’identité des autres, se fait chair, sang, eau. Le long ciment sans éclat, la tôle anodine, la poutre tordue prend des proportions inattendues. Le moindre pylône aux fils d'acier hirsutes se charge d’une présence, vrille d’un éclat imprévisible, d’une mémoire trouble. Doucement, personne ne sait exactement comment, les noirs terreux deviennent des passages profonds, impriment les humeurs de la terre… La lumière danse dans la sphère de l’homme, roses auroriens, rouges éprouvés, crie d’une existence à peine audible, bleus de l'intérieur, marécages putréfiés,  tourbillons rauques.

 PIGNON-ERNEST-SAINT-BARTHELEMY.jpg             Pignon-Ernest--Naples.jpg

 

 

« Je parle de la souffrance des hommes. »

 

Le dessin vient contrarier les perceptions. L’esprit comme foudroyé, sursaute, se lève tout de go. Argumente. Comment comprendre cette intrusion ? 

« Un entrepôt devient poétique »

 

Le passant fixe avec une insistance gênante ce qui l’affecte… La vue ripe sur l’image, en lutte contre soi-même. 

Anéantir ses propres réflexes de touriste 3*. 

Surmonter son vide. Le mural pousse de la mort des autres.

Rien n’émeut davantage l’anorexique de la pensée que l’évocation des idées. Ca raisonne étrangement. D’énormes coulures plongent vers le sol. Propositions d’encre de brume, noires, profondes, absorbantes, traversantes. L’écho d’une  invective. Ce débris fibreux, tel un soûlard pointant un autre soûlard (plus saoul encore) d’un doigt meurtrier est une matière organique vagabonde et avide, combinaison de fibre, de chair et d’acier. Nécessité brûlant d’une existence en déliquescence, disparaissant en grande hâte. 

 

« Quand je dessine – tout devient très noir. Je dessine la lumière qui circule dans le dessin.

Je suggère un mouvement à l’intérieur du dessin » 1*

 

Chose surprenante, en dépit de vents violents en cet endroit exposé du front de mer, ces quelques crains drus, broussailles désordonnées, fragments éparpillés protégés par les riverains - car l’homme du quartier sait distinguer la réserve éperdue de sacré, sait ce qui ajoute 4* -  étaient parvenus à supplanter le vide. 

 

« Bouleverser le regard qu’on a sur les choses, c’est un peu le rôle de l’art et de la poésie. » 

 

Ainsi parla Ernest Pignon Ernest.

 

 Au rythme d’une lucidité hachant le crâne en menus intervalles de plénitude. 

 

-------------------------

 

Bouleverser le regard... Montage du 'Chêne'.

.   .

 

      Ernest Pignon Ernest - Extases - Conférence avec Régis Debray du 29 mai 2013 

Palais des Beaux Arts de Lille

 

 

 

      --------------

 

1* Ernest Pignon Ernest.

2 * ... Régis Debray - fragments choisis :

Un franc tireur  qui fait groupe. Le tout à l’ego domine également le monde de l’Art.

Rassemblement. Pionnier du Street Art. 

Réintroduit de l’ancien dans le moderne.

Il réveille les morts – vengeur des torturés, des sans grades. 

Monté Christo des formes communes

Sacré Chœur avec les fusillés de la commune

Plasticien de la fraternité

Allégorie de la désolation

Solitude, c’est-à-dire l’inverse de la fraternité

Temps préalable au temps

Soubassements géologiques

Extase : volonté d’un corps de se désincarner

Algérie : restitution d’une mémoire perdue.

Œuvre d’effraction.

 

3* Régis Debray – Le bel âge – Café voltaire - Flammarion.

 « C’est la différence, si l’on préfère, qu’on peut trouver dans un lieu saint entre un pèlerin et un touriste. Les deux peuvent arriver et se côtoyer au même moment à Saint-Jacques-de-Compostelle. Le touriste est arrivé en car, avec son Guide bleu et des sous en poche, une providence pour les restaurateurs, et il visite ce qui, au fond, ne le visite pas lui-même et envers quoi il n’a pas de compte à rendre. Le pèlerin arrive à pied et en sueur, avec bourdon et coquille mais sans fifrelins. Le premier repartira comme il était venu. Le second en reviendra différent, avec une sensation d’accomplissement personnel couronnant un long travail de soi sur soi. Et bien sûr, nous sommes tous à la foi pèlerins à perpétuité, ce serait le cor au pied ad vitam aeternam, on rendrait vite son tablier.  

Il y a le même écart entre un voyage culturel et un pèlerinage qu’entre l’objet patrimonial et le défi excitant, le fétichisme du vestige et l’envie de revanche. Le patrimoine, c’est l’ensemble de tout ce qui reste à voir ; une histoire, l’ensemble de tout ce qui reste à faire. Et quand on ne sait plus quoi faire, on s’absorbe dans l’inventaire des bijoux de famille. » p 47.

 

 

4* les habitants des quartiers prennent soin des œuvres. 

 

-------------------

SITES 


Ernest Pignon Ernest. Site. 

 

Régis Debray. Site. 

 

Vidéo - Un film de Julie Bonan. "L'Art et la Manière".

Une image de Jean Genet.

 

l-art-et-la-maniere---film-de--JPG

 

 

Extases. Richard Michalska.

 

Naples: Classical Street Art by Ernest Pignon-Ernest

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le chêne parlant
  • : L'éclectisme au service de la pédagogie & L'art de suivre les chemins buissonniers. Blogue de Virginie Chrétien chrétien. Maître formatrice en lien avec l'ESPE de Lille. Rédactrice chez Slow Classes. Partenariat : philosophie Magazine. Écrivaine : La 6ème extinction - Virginie Oak.
  • Contact

Introduction.

L’éducation, dans son étymologie même, c’est : «Educere, ex-ducere, c’est conduire « hors de » rappelle le philosophe Henri Pena-Ruiz dans Le Philosophoire. Charles Coutel parle quant à lui d'[Educarea] ēdŭcāre ‘prendre soin de l’ignorance de l’élève’. "Le rôle de l’éducation - dit-il - c’est de me disposer à mon humanité en moi grâce à mon instruction." Ecoutons George Sand… « Mes pensées avaient pris ce cours, et je ne m'apercevais pas que cette confiance dans l'éducabilité de l'homme était fortifiée en moi par des influences extérieures. » George Sand, La mare au diable, Folio Classique, 892, P 37. Ce blogue se propose de partager des outils pédagogiques, des moments d'expériences, des savoirs, des lectures, de transmettre des informations relatives à la pédagogie ordinaire et spécialisée, des idées d’activités dans les classes allant du CP au CM2 en passant par la CLIS. Enfin, on y trouvera aussi quelques pensées plus personnelles. « Notre savoir est toujours provisoire, il n'a pas de fin. Ce n'est pas l'âge qui est le facteur déterminant de nos conceptions ; le nombre de « rencontres » que nous avons eues avec tel ou tel savoir l'est davantage, ainsi que la qualité de l'aide que nous avons eues pour les interpréter... » Britt-Mari Barth, le savoir en construction. ________________________________________________________________________________________________ 1 Le Philosophoire, L’éducation, n° 33, P16 2 P 52, Britt-Mari Barth – Le savoir en construction – Retz – Paris – 2004 – Isbn : 978725622347

Contributions et Partenariats.

Contributions gracieuses : Magazine Slow-classes. Numéro 1 Faire Mouche en géométrie et 2. Le moulinet à vent : mettre des mathématiques dans les voiles. ....... SLOW CLASSES : Slow Classes __________________________________________ Partenariat gracieux Philosophie Magazine. Philomag ________________________________________

Blogs voisins

Silapédagogie silapédagogie Aider ses élèves. com, un site de mathématiques créé par Marc Godin, chercheur en mathématiques, ce dernier est pointu et passionnant. Aider ses élèves . com Document Aider ses élèves . com - document

Emissions à écouter

___ Gai savoir Raphaël Enthoven - Paula Raiman et les indispensables Nouveaux chemins de la connaissance. Gai savoir ................................................................. Les nouveaux chemins de la connaissance - Adèle Van Reeth Les nouveaux chemins d'Adèle Van Reeth

Sites plus

Jaques Darriulat Jacques Darriulat _________________________________________ Philolog Philolog _______________________________________ Le lorgnon mélancolique. Le lorgnon mélancolique