Van Hemessen - Vanité - vers 1535 -1540. Huile sur bois.
Certains ont besoin de contempler le crépuscule, sentir l’inclinaison des rayons par degré, s’épouvanter des reflets ambrés, s’asperger de couleurs vitrifiées, mesurer minute après minute le sablier du temps, respirer l’âcre parfum d’une faneur*, géo-localiser l’entrée d’un tombeau, s’ombrer l’œil de la nuit ou - encore - parsemer leur existence d’acide.
Oui, certains ont besoin de sentir ces cauchemars dans leur chair, de toucher – sans doute - leur déclin du doigt, se meurtrir de leur absolue finitude, conserver les lambeaux poussiéreux de leur vie à fin* de ressentir la pleine puissance de leurs organes.
« Je veux vivre, sentir des sensations fortes, actives. » me dit un jour un moniteur à l'enthousiasme sympathique non sans avoir préalablement indiqué au groupe de gogos présents – dont je faisais partie - quel était « Le mode d’emploi de la plage. »
« Je vais nager avec les grands requins blancs… Oui, ça… ajouta-t-il l’œil mouillé de bonheur et le torse gonflé d’énergie… Ca... ça , un jour je vais le faire.** »
D’autres n’ont pas besoin de ces piqûres pour se perfuser un succédané de vie en intraveineuse.
Ceux-là ne remuent rien, ne creusent pas plus, n’espèrent pas davantage mais laissent glisser sur leur rétine la gouttelette tremblotante du vin projeté sur une nappe, les fragments musicaux d'une poétique distillée dans un livre, l’esthétique d’une vanité aux ailes ouvertes.
Ceux-là ont le néant réfracté d’un soleil éteint depuis leur naissance.
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* Librement détourné, et avec délectation qui plus est.
** Ce qui ne saurait constituer le meilleur moyen de rester en vie.
"Ce tableau refaçonne la perception que nous avons des vanités.
L’identité de cet ange qui ne nous est pas donné – a une expression énigmatique – décryptable. Ses yeux nous regardent de ses ailes colorées, nous percevons les chatoiements lumineux du vivant.
Van Hemessen a imposé parmi les romanistes une interprétation très personnelle des italiens du début du XVIe siècle dont cet ange à la stature puissante est caractéristique.
L’iconographie est ici insolite : alors que le crâne et les inscriptions évoquent la vanité des plaisirs terrestres, les ailes de papillon faisant allusion à l’immortalité de l’âme tempèrent le pessimisme habituel du genre. Le crâne dans le miroir est sans doute le reflet d’un personnage qui occupait un volet droit disparu que l’ange vient avertir de l’aboutissement inéluctable de toute destinée humaine. Les quelques mots autour du miroir « Ecce rapinam rerum omnium » désignent la mort comme le pillage de toutes choses."
Palais des Beaux-Arts de Lille.
Alexis Donetzkoff, Conservateur du patrimoine au Palais des Beaux-Arts de Lille :
"Peinture inédite jusqu’à son passage en vente publique, la Vanitéde Jan van Hemessen est apparue dès ce moment comme une oeuvre incontestable et importante de ce peintre. Elle est à dater probablement vers 1535-1540. A ce tournant de sa carrière, l'artiste, qui a acquis une connaissance approfondie des peintres d'Italie du Nord, peut-être à l'occasion d'un voyage dans ce pays, achève d'élaborer une manière "romanisante" très personnelle dont cet ange à la stature puissante est un exemple caractéristique. Le triptyque du Jugement Dernier exécuté vers 1537 pour la famille Rockox (Anvers, église Saint-Jacques), avec lequel notre tableau présente plus d’un point commun, amène même à se demander si l’artiste n’a pas vu la fresque de Michel-Ange à la Sixtine en cours d’exécution. L'iconographie, qui est bien celle d'une Vanité, présente cependant des caractères insolites. Le crâne et les inscriptions correspondent bien à l'insistance traditionnelle sur la vanité des plaisirs de l'existence. Les ailes de papillon de l'ange, en revanche, sont sans doute là pour tempérer le pessimisme habituel du genre en rappelant la résurrection de la chair. Surtout, le crâne n'est très probablement que le reflet d'un personnage qui occupait un volet droit disparu, peut-être une figure allégorique des plaisirs de ce monde ou, plus vraisemblablement, le portrait d'un haut personnage qu'un messager céleste vient avertir de l'aboutissement inéluctable de toute destinée humaine. Une telle création, sans équivalent connu, contribue à confirmer la place éminente de Hemessen parmi les peintres flamands du 16e siècle."
Lille, Palais des Beaux-Arts.
Numéro d'inventaire : P 2009
Date d'acquisition : Acquis en 1994 avec l'aide du F.R.A.M. et le mécénat de White Public Relation, Tokyo.