« Le peuple n’est pas le maître de l’écriture comme de la parole. »
Varron.
L’orthographe (1), p 3.
A chaque fois que l’on
évoque une réforme « possible », pensée de l’orthographe… on y perd son « latin. »
Il n’y a pas de débat possible.
La controverse (voire querelle) intéressante, constructive, se fait la malle : la pensée se rétracte, la réflexion se
fige. Un soupçon de malveillance émerge d'emblée. Que cherche l’investigateur de la « Réforme » ? Ecrire en langage SMS ? On tombe dans la caricature, on parle de paresse,
d’inculture… « Oui, ah, oui, avec vous chapeau va s’écrire chapo ! (2) ». On se heurte, au fond, aux mêmes certitudes bloquantes que celles rencontrées au niveau de la lecture
syllabique. Les procès – préjugés - étriqués se répètent.
Naturellement, sans conteste, comme l’énonce Danièle Sallenave, une orthographe commune est nécessaire. Il ne s’agit pas
d’écrire « chacun à sa manière » - comme on veut - bref, n'importe comment. Il s'agit (tout simplement ?) de trouver une manière « intelligente – applicable par le plus grand
nombre, sans baisser les exigences - d’écrire en commun ».
La quadrature du cercle ?
Pas simple non plus chez les allemands...
La réforme de la réforme à réformer ?
Schifffahrt... avec 3 F ? Est-ce une avancée ?
Heureusement, certaines personnalités « de poids » sortent des « sentiers battus » et osent briser le tabou d’une
orthographe fixée une fois pour toutes, parmi elles, j’en ai déjà parlé, Nina Catach :
En l’occurrence, un peu d’histoire s’impose :
L’orthographe est une notion relativement récente. Le mot se rattache à deux mots grecs « écrire », « correctement », nous
indique-t-elle.
Notre alphabet vient globalement du latin (excepté les accents, le j, le v…).
En l'an 842 (serments de Strasbourg), latin et français présentent des similarités.
On lisait le latin « à la française », on écrivait le français à la « latine ». (1) p 9.
Les langues vont se séparer ensuite « avec beaucoup de mal ».
« Au IXème siècle, la volonté de séparation des deux langues a déjà fait l’objet de ce qu’on appelle la réforme de
Charlemagne. » p 10.
« Le moyen français : la période gothique (XIIème-XVIème siècle)
Le moyen français, période de transition entre l’ancienne langue et le français moderne. » p 13.
« Le besoin de facilité et
de rapidité […] de clarté […] ornemental […ou les ] besoins sociaux [Bien que non liés directement à la langue – puisque liés à la technique, au graphisme,
etc. - auront pourtant un impact sur sa transformation.]. » p 20.
« On sait par exemple, que le h de huile, huis, huit, huistre (oléum, ostrium, octo, ostreum), loin d’être d’origine
latine, servait uniquement à signaler que le u initial était voyelle. » P 21.
« Le x final, abréviation de us, pas plus que le y calligraphique ou le z muet, n’ont rien de latin. » Pp21
–22
Du XVIème et XVIIème siècle...
Les imprimeurs vont jouer un rôle dans la fixation de l’orthographe.
« Les mots se séparent, les caractères sont nettement distincts, les ligatures et les abréviations disparaissent, et un
système progressivement normalisé de majuscules, de signes de ponctuation, d’accents se met en place, remplaçant les procédés compliqués de lettres adscrites, plus commodes à l’écriture
manuscrite.
(1529 le Champfleury de G. Tory est publié... A l’exemple des Italiens et des Espagnols, qui utilisaient déjà certains
caractères accentués et signe de ponctuation, il préconise l’emploi de la cédille, de l’apostrophe, voire des accents.)
Robert Estienne adopte l’accent aigu à la finale en 1530. » p 26.
Mais les écrivains ne sont pas non plus sans influence : On suit l’orthographe de Ronsard, etc. (P 27).
Puis, les choses se gâtent… « Les imprimeurs du roi, suivant l’exemple de R. Estienne
et ses continuateurs, reprennent les choses en main. Les guerres de religion chassent de France beaucoup de ces typographes d’avant-garde, souvent trop remuants et soupçonnés de protestantisme. A
la fin du siècle et jusqu’en 1640 (fondation de l’imprimerie royale par Richelieu), le monde de l’édition connaît une crise… Les erreurs, les coquilles, l’ignorance des règles les plus
élémentaires vont de pair avec le retour à l’orthographe la plus archaïque. » p 28.
Le Dictionnaire francoilatin (1529) de R Estienne va alors servir de modèle d’orthographe… « Pourtant, il a aussi ses idées. Il imagine des règles pour justifier et normaliser l’état de chose existant. Ainsi, il
a tendance à ne garder y que dans les diphtongues ay, oy, uy.. Il pratique largement le redoublement de l et de t après e plus ou moins ouvert, sans tenir compte de l’étymologie : ainsi, il écrit
appeler, appelle, chandelle, comette, planette, mortelle, secrette, etc ; Il remplace systématiquement l’ancien tilde par le redoublement de n ou m (honneur), rétablit les lettres grecques,
etc. » p 29 :
Le XVIIème siècle : les classiques.
« Les écrivains reviennent tout naturellement aux habitudes graphiques de la Renaissance.
Les … réformateurs (Poisson, L’Esclache, Lartigaut) reprennent le flambeau dressé par Meigret, Péletier et Ramus. Deux
traditions s’opposent et s’équilibrent : celle des « modernes », grammairiens, éditeurs, créateurs de la langue … et d’autre part celle des « anciens, clercs, praticiens, maîtres d’écriture, gens
de lettres, officiers royaux, maître des écritures officielles. » p 30.
« Beaucoup d’auteurs (et d’éditeurs) s’intéressent aux réformes, Bossuet, par exemple. Corneille, en particulier, joue
un rôle non négligeable en ce domaine : il se déclare, en 1663, en faveur de l’emploi de l’accent grave, préconise, l’emploi du s au lieu du z comme signe de pluriel (amitiés et non amitiez), et
utilise le j et le v, qu’il fait adopter par l’Académie. En France, les progrès sociaux, littéraires et orthographiques vont souvent de pair. » p 31.
Vers l’orthographe d’état. Première édition de L’Académie (1694).
« Voltaire, joue un rôle non négligeable afin de faire adopter ai pour oi dans les mots
comme François, les Anglois, et les formes verbales comme j’estoi, je
feroi, je finirois, etc. déclare :
« L’écriture est la peinture
de la voix : plus elle est ressemblante, meilleure elle est. »
Devancé par l’usage, soutenu par l’opinion, d’Olivet (3ème édition : 1740) réalise ainsi une série de réformes
réfléchies, qui font date et rompent de façon éclatante avec l’usage des manuscrits : un mot sur quatre est ainsi transformé. » P 37.
La suite n’est qu’une longue liste de réformes puis de rétractations. Jugez plutôt :
(4ème édition : 1762) :
« l’Académie simplifie ancholie, phanio, scrophule, paschal, phlegme, phlegmatique, déthrôner, scholarité,
scholastique, etc. qui deviennent ancolie, fanion, scrofule, pascal, flegme, flegmatique, détrôner, scolarité, etc. » p 39.
5ème édition, 1798 :
« simplification de lettres doubles… consolidation du système d’accentuation (accent circonflexe), simplification des
mots venus du grec (amarante, antropophage, abîme, amigdale, analise, anonime, etc.), suppression partielle de e muet avant ou après une voyelle (échoir, grément, crûment, éternument, etc.).
» p 40.
6ème édition 1835 : (retour en arrière) :
« Nous sommes, au milieu du XIXème siècle, en plein « scientisme ». Quoi d’étonnant que la nouvelle Académie, qui doit,
pour la deuxième fois, tout au pouvoir qui l’a remise en place ( par les ordonnances de 1816), revienne à un étymologisme outrancier ?
Aussi écrit-elle de nouveau : anthropophage, amygdale, analyse, anévrysme, anonyme, asyle, et aussi aphte, diphthongue,
rhythme, phthisie … (monstres auxquels l’édition de 1878 se contentera d’enlever un h sur deux.) » p 40. [On croit rêver !]
1835 :
« adoption définitive de la même forme au singulier et au pluriel des noms, adjectifs et participes présents en ant, ent ‘enfants, présents, aimants au lieu de enfans, présens, aimans).
L’Académie avait toujours hésité sur ce point, adoptant ants en 1694, puis ans, ens en 1740, après de nombreuses décisions contradictoires. Cette réforme, comme la précédente, souleva des tollés
dans l’opinion conservatrice, et certains écrivains, comme CH. Nodier, ou Chateaubriand, s’obstinèrent longtemps à écrire sans t les participes présents et mots assimilés (Journal des
Savans). » p 41.
1878 : 7ème édition. (1877-1878) :
« On y trouve (dans la 7ème édition) beaucoup de mots simplifiés introduits sous formes de variantes, et il faut y voir
le reflet de l’idée neuve de tolérance, au moins dans les examens : « La pratique orthographique actuellement imposée aux élèves… est, dans bien des cas, en contradiction flagrante avec
l’enseignement grammatical donné dans toutes les universités… Il y aurait lieu, tout au moins, de ne plus imputer à faute aux élèves qui en usent les formes reconnues les meilleures par la
science grammaticale… L’orthographe ne saurait être soustraite plus longtemps, par un dogmatisme intransigeant, aux lois de l’évolution… » (vœu
du conseil supérieur de l’Instruction publique, 1908).
L’idée de tolérance, ou de double orthographe, permises dans les examens et par conséquent introduites indirectement
dans l’usage, est à la fois une idée réaliste et dangereuse.
Réaliste, dans certaines circonstances, parce qu’elle peut permettre à un usage bloqué de retrouver une certaine
souplesse.
Dangereuse, si ces tolérances ne sont pas strictement limitées dans le temps et à certaines zones marginales et bien
dominées, intégrées ensuite progressivement selon une étude et un plan préalablement établis.
(Note de bas de page : Une des séries ainsi « libérées » se trouvait être celle des adverbes et noms en ement [qui
deviennent ment] : maniement ou maniment, dévouement, dévoûment, gaiement, gaîment, écrits de deux façons, réforme amorcée en 1835. Dans l’esprit de l’Académie, il semble que l’accent circonflexe
(comme cela s’était produit en 1740) marquant une lettre disparue était un accent de transition, destiné ensuite à disparaître, comme dans vraiment, bâtiment, châtiment, etc. L’édition suivante
(1935) restitue le e interne dans toute cette série de mots.) » p 42.
8ème édition (1932 – 1935)
« La 8ème édition présente certaines
caractéristiques qui la rapprochent de la 6ème (1835) : retour en arrière (dans maniement, déploiement, etc.), suppression des variantes admises précédemment, corrections de
détails, tournant souvent dos aux simplifications (abattis, abbatage, alignés sur abattre mais coupés de combatif, combativité, courbatu..) etc. Cependant, elle soude certains composés (chienlit,
passerose, primesautier, toutou, etc.) » p 43
Conclusion :
L’histoire (celle-là même que l’on tend à rendre facultative) vient à bout des préjugés les plus tenaces, aide à mieux
saisir la réalité - complexe - des choses, efface les idées simplistes.
Oui, une réforme « pensée » de l’orthographe est non seulement possible mais nécessaire. Puisque : .. « les lois graphiques
relèvent bien de décisions humaines. » p 33.
Comment se concrétiserait-t-elle ?
Il s’agirait d’une réforme limitée et – finalement – assez modeste, par exemple, développe Nina Catach :
«
1) Le remplacement de l’x muet final par un s (bijous) ;
2) Une réforme partielle ou totale des consonnes doubles ;
3) Une révision des consonnes parasites internes (sculteur) et anomalies les plus criantes (oignon [cela a été fait depuis
mais n’est pas passé… dans les mœurs…] ;
4) Un révision des … mots composés ;
5) des accents… » (1) p 94.
Naturellement, ne croyez pas que nous soyons différents des autres. Il nous sera tout aussi difficile de lâcher
une grammaire et une orthographe si chèrement acquises (L’ante cancre orthographique que j’étais - et que je suis toujours un peu - témoigne en connaissance de cause.).
C'est ce que propose également - mais en allant encore plus loin André Chervel... Comme on peut le voir dans cette vidéo
proposée par Philippe Mérieu.
« Moi, je n'ai jamais pu me fourrer l'orthographe en tête ! » confie l’écrivain voyageur Blaise Cendrars dans
Bourlinguer(3). Pour mettre fin à ses doutes orthographiques, il transportait constamment avec lui un petit dictionnaire.
C'est-à-dire usons d’une langue qui, loin de gouverner notre esprit, l’éclaire.
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(1) L’orthographe, PUF, Que sais-je ? N° 685, Paris, 1997, ISBN : 9-782130-460565
(2) Cet argument (hautement intellectuel) a pu être entendu sur France Culture ! dans l’émission par ailleurs intéressante
intitulée Rue des écoles (Débat entre Stanislas Dehaene et…) ; le débat constructif n’est pas encore pour demain… :(
(3) Blaise Cendrars, Bourlinguer, Gallimard, 74, rééd. 2003, Folio 602, P 477.
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Un peu d'over humour... Les inconnus.
Pour une réforme de l'orthographe en verlan... De quoi être "Over désabusé."
"Pourquoi avoir gardé le K dans Keuf, alors que ça veut dire Flic à l'envers ?"