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29 mars 2013 5 29 /03 /mars /2013 18:33

      « Au début, un enfant, s'il doit se sentir libre

et devenir capable de jouer, 

a besoin d'être conscient d'un cadre,

 il a besoin d'être un enfant insouciant. » 1*   

Donnald Woods Winnicot 2 *

 

 

Quiconque entre dans une classe – a fortiori située en zone difficile - s’expose au déchaînement des passions humaines. Le vent des rires, le bruit des règles glissées, des stylos lâchés, des trousses ouvertes et vidées à grand fracas, des manteaux déplacés, des taille-crayons disputés. Les cris hystériques face à l’embryon d’une araignée, le duvet d’une abeille butant la vitre, la tempête des tempéraments, les éclats de voix, le son des chaises levées et claquées, le cliquetis des sacs ouverts/ fermés/ ouverts, peuvent venir à bout du plus patient des enseignants. Bref, la classe contraste spectaculairement d’avec la douce tranquillité d’une balade en forêt. Un retrait tactique n’étant guère envisageable, l’agitation perpétuelle difficilement supportable… Que faire ? Comment passer la tourmente sans la fuir ? Comment rassurer, générer un environnement stable sans se perdre en de futiles combats ?

 

Bienvenue en terra pédagogica.

Bienvenue ‘Entre les murs’. La fiction inspirée d’évènements réels, se pare d’une valeur symbolico-pédagogique.

François Marin (alias François Bégaudeau 3*   – les deux images se confondent) est la figure du démocrate par excellence. Tout le monde a envie de lui ressembler ou presque..

 

« Quand il y a quelque chose de bien, déclare-t-il, j’ai envie que tout le monde en profite dans la classe. » A l’écoute de ses élèves, compétent, le professeur tressaille, frissonne, se démène afin de transmettre des savoirs envers et malgré les difficultés rencontrées, lesquelles ne sauraient être minces en banlieue parisienne. Les échanges verbaux dans cette 4ème sont ouverts, sans être libres. Entre directivité et laisser-faire, François Marin propose, discute, réclame les carnets de correspondance,  oriente, guide sans étouffer ni – trop - baisser les exigences.

Marin, c’est la figure de l’enseignant actif - impliqué – celui qui livre le combat de la culture, au centre de l’action, aux premières loges. Son travail relève du sacerdoce, en sa présence le mot « vocation » s’extirpe d’une définition virtuelle et se matérialise pour de bon. L’ancien premier de classe – au curriculum impressionnant – reste humble et modeste, se jette dans le combat, prend tout dans les dents, rage et enrage pour défendre ses élèves, leur rendre une dignité, identifier leurs besoins, tenter d’y répondre. 

 

Idyllique ?…  Nous verrons.

         Barrington Kaye et Irving Rogers 4* ont apprécié l’influence qu’un leader pouvait produire sur le travail des éléments encadrés. Pour ce faire, les chercheurs américains se sont emparés de 3 figures : 

 

- l’autocrate, 

- le permissif,

- le démocrate. 

 

Bien évidemment, ces figures sont conceptuelles, leurs particularismes volontairement contrastés sont sans doute excessifs, leur nature distincte est probablement trop tranchée. Soulignons, enfin, un fait non prévu - à ma connaissance - par les chercheurs mais non moins prévisible, celui des troubles de l’âme amenant l’humain à adopter une attitude plutôt démocrate, plutôt permissive ou autocrate au gré de son humeur ou des évènements rencontrés. Ce qui frappe le lecteur des études pratiquées par Barrington Kaye et Irving Rogers - on le pressentait, mais encore fallait-il en avoir la preuve – c’est combien l’attitude et l’action de l’encadrant modifie les agissements de l’encadré.

 

Chez François Marin, le caractère démocrate domine, sans aucun doute. L’enseignant – aux prises avec le modèle auquel il tient – est animé par les jeux d’esprit voltairiens, « On est toujours l’imbécile de quelqu’un. », par le plaisir de la contradiction, use d’humour et d’ironie. Néanmoins, libérer la parole d’autrui n’est pas anodin. 

Etre « cool », compréhensif ; Jouer sur le  registre du familier, du proche – n’est pas exempt de danger. La potion génère des effets secondaires. La vivacité des échanges oraux, la parole libre et non codée, d’une nature apparemment ouverte se pare d’un brin de banalité, puis, rapidement, s’emporte en bouquet de familiarité, lequel roule en meule sauvage et sans entraves. « Vous charriez trop, c’est un truc de ouf. » ne manque pas lui reprocher Esméralda dans un langage se voulant hyper-moderne, en réalité, le contraire d’un esprit libre.

 

« Les esprits libres résistent au jeunisme. » dénonce Charles Coutel. Le philosophe ajoute :

« Les esprits libres résistent au fatalisme sociologique.

Les esprits libres résistent … au paradoxe de l’ignorant ou au paradoxe de l’illettré… « Moi j’ai deux mots à ma disposition et je crois qu’avec les 12 mots, 15 mots, je peux dire la richesse du monde. ..  Trop fort de ché trop fort. » 

Charles Coutel - L'éducation en questions 1/4: Condorcet: qu'est-ce qu'une éducation républicaine ? 03.09.2012 - 10:0

 

Danièle Sallenave 5* - grande connaisseuse des classes de collèges et lycée Marseillais, commente les écrits de François Bégaudeau : 

 

« C'est du reste un passage extrêmement drôle du livre de Bégaudeau où celui-ci tente de leur apprendre la  différence entre « insulter » et « traiter de » : « Monsieur, vous m'avez traitée !

- Non, on dit insulter. 

- Vous m'avez insultée de pétasse !

- Non, on dit traiter... » 

Allez vous y retrouver. C'est cela que j'aime dans son livre; ce que j'aime moins, c'est quand il entre dans le jeu, leur répond sur le même ton, et avec le même vocabulaire. Que lui aussi emploie ce mot affreux de pétasse » 

 

Le rêve triangulaire de l’échange sincère entre – professeur, savoir, élèves - dénué d’arrières pensées, l'utopie d'une liberté sans entraves, c’est-à-dire le confortable ‘ami-ami’ tourne rapidement au cauchemar. A gommer les clôtures, à rendre les frontières floues, impalpables, la ligne du « tout est permis » se rapproche. Le mouvement s’accompagne de pulsions moins idylliques, de volontés sombres, de jeux de puissances pas franchement amicales. 

Les élèves ont tôt fait de brandir l’arme de la ‘négociation’, de braquer vers le professeur le canon de la transaction comme outil d’asservissement. Le jeu d’oscillation entre la parole du sachant et de l’instruit se déséquilibre. Les règles d’écoute et de respect s’effacent. Les velléités de dominations se réveillent... A susciter les réactions, titiller par un dialogue direct, on peut se faire mettre en pièce.

 

Le ‘démocrate permissif’ passe dés lors rapidement du statut de maître à celui de laquais, contraint sans cesse à parlementer, enjoint pour un ‘oui ou un non’ à s’expliquer -  sommé de se justifier. 

Les vieilles violences retrouvent leur prime jeunesse. 

C’est qu’il n’est guère aisé de s’élever - comme l’indique Condorcet - au dessus de notre propre médiocrité.

 

Il dit à sa fille : « Si tu n’as point porté les arts à un certain degré de perfection. Si ton esprit ne s’est point formé, entendu , fortifié par des études méthodiques [élémentaires précise Charles Coutel] tu compterais en vain sur tes ressources. La fatigue, le dégoût de ta propre médiocrité l’emporteraient bientôt sur le plaisir. »

 

Paradoxalement, explicitent Barrington Kaye et Irving Rogers, le leader permissif obtient peu de résultats. En absence de cadre, les éléments font montre de peu d’ardeur au travail, les initiatives sont pratiquement inexistantes. La description des chercheurs fait frémir : les rapports de force explosent : réactions de mépris, craintes, agressions se multiplient. La contestation gronde. Les esprits s’agitent. Les individus ne sachant comment s’accorder, développent des réactions d’hostilités et d’autodéfenses faites d’alliance, de soumission, d’animosité. Le danger pour certains éléments – paisibles, non aguerris à ce type de lutte - est réel. La figure de l’humilié fleurit dans cette diversité d’abus. C’est la défense, l’alternative répondant – sans doute – à l’angoisse du « libre jeu des passions de chacun », de l’exercice des intérêts privés. Le bouc émissaire cristallise l’ensemble des frustrations. S’en prendre à une nature sensible, canaliser les actes de puissance sur cette dernière, permet – fut-ce très momentanément, de dévier le champ de la violence,  bouclier fragile permettant de  se ‘sauver’ soi-même, de se conserver. 

 

Retour au film… 

Place à un moment de cours intitulé l’« Autoportrait. » :

Entre-les-murs.JPG

 

Souleymane se balance sur sa chaise. (La perfection du balancement est accompagnée de la rumination compulsive des muscles masticateurs.) 

François M. cadre : « Souleymane, tu arrêtes de te balancer et tu nous lis ton autoportrait… Je suis très curieux d’entendre ça.

- Hein ?

- Non pas de ha. Non.

- Moi, j’ai rien marqué, moi. Se défend Souleymane.

- Si, si. Je suis sûr que tu as marqué quelque chose, je t’ai vu tout à l’heure.

- J’ai rien marqué. 

- Si, si.

- J’ai rien.

- On t’écoute. Pose François M. d’une manière calme et sûre d’elle-même qui ne souffre pas de refus.

-  Je m’appelle Souleymane, lit-il en se jetant vers l’arrière, et je n’ai rien à dire sur moi car personne ne me connaît sauf moi.

Bravo, entonnent en cœur les élèves (applaudissements).

- Ca va… rétorque l’enseignant, quelque peu agacé par l’agitation. Très bien…Pose, avant que de reprendre : Peut-être un tout petit peu long, mais très bien… Comment ça se fait que les autres font l’effort d’écrire des lignes et toi une ligne suffit ? 

- Moi, j’aime pas raconter ma vie, c’est tout.  

- Et pourquoi les autres font l’effort de raconter leur vie ?

- C’est leur problème. Moi je raconte pas ma vie à tout le monde, quoi, à l’école. 

- C’est pas, il veut pas - objecte Esméralda en insistant sur la dernière partie de la phrase - Il sait pas écrire, voilà. 

La formule fait mouche. Souleymane riposte – avec un plaisir palpable : 

-  Qu’est-ce qu’elle ouvre sa gueule, la Keuf ?…Pourquoi tu parles avec moi, sale keuf […] Tu pues de la gueule ! 

- Ca suffit…Coupe François M. T’es pas obligé d’être vulgaire, Souleymane…Ca Souleymane, pour tout ce qui est insulte et pour l’oralité, ça, t’es très très fort, mais dès qu’il s’agit d’écrire, alors là, il n’y a plus personne.

- Mais il ne sait même pas écrire son nom ! déclare Esméralda, les bras levés en signe de limite.

(Les agressions fusent, les élèves se traitent en ennemis pour le coup, les attaques semblent interminables. Souleymane exhibe son tatouage. François M. l’invite alors à s’exprimer sur sa signification. ) 

- C’est quoi ce tatouage, Souleymane ? …Hé. Hé. Hé ! C’est quoi ce tatouage ?

- Ca veut dire ferme ta bouche, ferme ta gueule, intervient Boubacar.

- Ferme ta gueule, déjà ça veut pas dire ça. Rectifie Souleymane, très sérieux.

- Qu’est-ce que ça veut dire alors ? … Puisque c’est pas la bonne traduction, alors dis-le nous.

- Moi, j’ai pas envie de le dire.

- C’est toi qui le montres dans mon cours, donc tu vas nous dire ce que ça veut dire.

- « Si ce que tu as à dire n’est pas plus important que le silence, alors tais-toi. »

 

François M. interroge :

- Pourquoi c’est pas la même chose que ce que nous avait dit Boubacar ?

- Moi, je trouve que c’est plus beau.

- Oui, voilà, c’est mieux dit. .. Si seulement tu pouvais écrire des choses aussi intéressantes sur ta feuille que sur ton bras ce serait extraordinaire… Ca prouve bien que tu peux le faire. »

 

      L’originalité du dialogue tient sans doute dans sa violence. La pseudo liberté de parole (ou plutôt une parole libre) cache une parodie de dialogue. Le semblant d’échange 'démocrate' masque un réel rapport de force, une fausse sérénité, des tirs à vue, règlements de compte -. Esméralda, Souleymane et leurs affiliés ne s'entendent pas - aucune écoute - versent dans l’affirmation des passions de chacun, tentent de se distinguer, d’imposer leur point de vue, de rabattre l’autre, de prendre le contrôle, de mettre en poussière les esprits 6*. De triompher. 

 

« Chacun a gentiment  l’impression d’être supérieur à l’autre. » Explique Jacques Rancières. 

L’élève pense que le maître est un bouffon. Et le maître reprend les expression de l’élève.

                    Jacques Rancières*. Que doivent savoir les maîtres ? 

                    Nouveaux chemins de la connaissance. 06/09/12

 

 

Nous sommes ici en présence de pensées totalement inamicales, désunies, en lutte… La classe est un champ de force où s’expriment une variété de volontés singulières. 

 

John Dewey 7* dans son livre « expérience et éducation », pose les conditions d’une libération,  dessine minutieusement les contours d’un cadre* neutre et non permissif. Celui où « Aussi longtemps que le jeu se déroule sans accroc sérieux, les joueurs n'ont pas l'impression de se soumettre à une quelconque coercition interne... » Coexister, prendre en compte la puissance, l’inconstance, les désirs de chacun impose des barrières, l’établissement de règles, de lois.

 

       Ne pas poser de cadre, c’est laisser libre court aux puissances primitives, sauvages, négatives.

                      En d’autres termes, tel que Pascal 8* l’indique dans sa ‘Justice et raison des effets’ : à Ne pas faire que le juste soit fort, on fait que le fort soit juste.

                                         

                                                Laisser libre champ à...

 

                                                                                             La guerre civile des ego. 

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     * Un cadre libérateur. Billet à venir sur certaines modalités.

 

1 * D. W. Winnicot (Pédiatre, psychiatre et psychanalyste britannique préoccupé d’étudier l'équilibre psychique de l’enfant), L'enfant et le monde extérieur, Le développement des relations, Science de l'homme, Payot, Orne, 1990, P 168.

2 * Op. Cit. P168. « Des êtres humains aimants et un environnement stable sont particulièrement nécessaires pendant cette période et les personnes environnantes sont utilisées par l'enfant qui grandit, pendant ce processus de construction dans l'individu d'un surmoi plus personnel avec ses propres idées sur la discipline et la liberté... ».

 

3* Alias François Bégaudeau, Entre les murs, ed Verticales. ISBN : 2070776913 deviendra un film de Laurent Cantet. Palme d’or du festival de Canne.

 

4 * Kaye Barrington et Irving Rogers, Pédagogie de groupe dans l'enseignement secondaire et formation des enseignants, ed Dunod, 1971, P 89 – 93.

 

5* Danièle Sallenave, Nous on n'aime pas lire, Gallimard, 2009, P 88.

 

6 * « Le danger n'est ni à Londres, poursuit Marat, comme le croit Robespierre, ni à Berlin comme le croit Danton ; il est à Paris. Il est dans l'absence d'unité, dans le droit qu'à chacun de tirer de son côté, à commencer par vous deux, dans la mise en poussière des esprits, dans l'anarchie des volonté.Victor Hugo, « Le cabaret de la rue du Paon », pp 119- 120.

 

7* P 255, cité par  Anne Marie et Francis Imbert, in « L'école à la recherche de l'autorité », cf bibliographie. « les enfants aux récréations ou après l'école, jouent à des jeux depuis cache-cache jusqu'au football. Les jeux impliquent des règlements et ces règlements ordonnent leur conduite. … Sans règlement pas de jeu possible... qu'une querelle s'élève et le règlement sert d'arbitre... Aussi longtemps que le jeu se déroule sans accroc sérieux, les joueurs n'ont pas l'impression de se soumettre à une quelconque coercition interne... »

 

8* En d’autres termes, tel que Pascal, l’indique dans sa ‘Justice et raison des effets’ : Ne pouvant faire que le juste soit fort, on fait que le fort soit juste.

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  France Culture !

 

 

 Jacques Rancières*. Que doivent savoir les maîtres ? 

                    Nouveaux chemins de la connaissance. 06/09/12

 

 

 

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13 juillet 2012 5 13 /07 /juillet /2012 10:10

 

 

«  [La science] porte en elle un univers de théories,

d'idées, de paradigmes,

Cedric-Villani-Medaille-Fiels-Maths-Cedric-Villani.jpgce qui nous renvoie d'une part

aux conditions bio-anthropologiques de la connaissance

(car il n'y a pas d'esprit sans cerveau),

d'autre part à l'enracinement culturel, social, historique, des théories.

Les théories scientifiques surgissent des esprits humains au sein d'une culture hic et nunc.

La connaissance scientifique ne saurait s'isoler de ses conditions d'élaboration.

Mais elle ne saurait être réduite à ces conditions. » 

Edgar Morin,

(1) p 24-25

 

Il est de rigueur – lorsqu’on se veut scientifique, objectif, rigoureux – de ne pas faire appel à l’humour. Cette simple mention voue aux gémonies. Un blogue de chercheur en éducation se veut simple, net, dénué d’images – ou presque – subsistant quelques rares référents culturels, guère attrayants, il faut bien le reconnaître. 

 

Edgar Morin se fait l’écho des « principes occultes de la réduction/disjonction qui ont éclairé la recherche dans la science classique sont ceux-là mêmes qui nous rendent aveugles sur la nature technique, sociale et politique de la science, sur la nature à la fois physique, biologique, culturelle, sociale, historique de tout ce qui est humain. Ce sont eux qui ont établi et maintiennent la grande disjonction nature/culture, objet/sujet. Ce sont eux qui partout ne voient qu’apparences naïves dans la réalité complexe de nos êtres, de nos vies, de nos univers. » (1) p 30.

 

Ce dernier fait l’éloge de la « déviance », celle qui lie des concepts contradictoires en apparence, celle qui invente en faisant feu de tout bois, celle qui ne s’enferme pas dans sa propre matière mais « s’inspire » des arts (2), tel Cédric Villani et les arts plastiques ou s’empare du quotidien, tel Roland Bathes et ses « Mythologies » ou aujourd’hui, Raphaël Enthoven et ses « chant(s) des signes ». 

 

La mythologie, l’imaginaire pour solidifier le réel.

 

Penser autrement, ajoute-t-il, suppose de ne plus fonctionner selon le paradigme dominant. Lequel est assez basique : Etre sérieux, c’est comprendre ce qui est difficile, or analyser la difficulté ne saurait faire l’impasse d’un vocable complexe. C’est l’obsession de la complexité complexe laquelle s’oppose à la pseudo-science simpliste.

 

Exit donc, la philosophie simple et compréhensible.

Exit les expressions ordinaires. 

Exit le mélange des matières.

Exit l’intrusion du quotidien.

 Exit l’humour.

Faire fi de ces postulats – c’est être dans le décalage, le dérangeant -, c’est s’exposer à bien des ennuis. Cela a un coût lorsqu’on dispose d’une visibilité médiatique : celui de passer pour un déviant, un rigolo, un non sérieux.

 

«  Je connais beaucoup d'esprits originaux – écrit le sociologue - qui ont été virés. Je connais le docteur Gabel, n'est-ce-pas, qui est inclassable, qui a été viré, je connais Lapassade (qui est un peu fou mais, enfin, qui est un esprit très stimulant et intéressant) qui a été viré, Roland Barthes a été viré de la commission de linguistique parce qu'il faisait de la sémiologie. L'institution élimine normalement le déviant, c'est dommage. Moi, j'ai la chance d'être toléré. » (1) p 84.

C’est surtout ne pas répondre aux attentes universitaires, ne pas tendre la patte blanche du sérieux. 

                        Bref, c’est s’annihiler soi-même. 

 

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Édgar Morin, science avec conscience, éd du Seuil, point, 1990, ISBN : 2-02-012088-7,

 

(2) « Vous voyez du reste, dès qu'on pense à la recherche, avec ses activités de l'esprit, avec le rôle de l'imagination, le rôle de l'invention, on se rend compte que les notions d'art et de science, qui s'opposent dans l'idéologie dominante, ont quelque chose de commun. » Science avec conscience, p 48.

 

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Fabrice Luchini : "Ma rencontre avec Roland Barthes." 

"Ça fait sens."

 

 

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30 juin 2012 6 30 /06 /juin /2012 18:26

Simul-Affiche-Quai-Metro_Gd.png

 

A l’école des rats avec Gamin – l’apprentissage du détour.

Bienvenue au palais de la découverte avec Anne-Marie Malabre Brule. 

.
"Apprendre : Acquérir des informations – stocker ces informations dans sa mémoire sous forme de souvenirs  pourvoir rappeler ces souvenirs ultérieurement pour modifier un comportement quelconque."

 

Parle-t-on ici d'apprendre ou d'apprentissage ? 

Bernardette Moussy - que je salue au passage - dans son site très intéressant consacré à la pédagogie, nous précise certaines définitions indispensables.

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Informations :

      Pavlov – conditionnement.

                  Skinner – méthode instrumentale. 

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L’acquisition des connaissances 

 

« Pour apprendre, il faut s’entraîner, répéter et être récompensé de ses efforts. »

Skinner.

Selon Skinner, les principes de l’éducation scolaire se doivent de reposer 

1) sur des agents renforçateurs (des récompenses : les bons points qui finiront par se transformer en une belle

image au bout d’une longue série de succès de l’élève…) et 

2) sur une succession  d’étapes (de  séances  formant  une  séquence),  

3)  mettant  en  jeu  des  activités  progressives  pour lesquelles l’élève doit produire lui-même une réponse à un problème posé (par l’ordinateur, entre  autre)  qui  est  

4)  immédiatement  renforcée positivement ou négativement selon son exactitude.  Ce  n’est  que  lorsque  la  réponse  à  l’exercice  ou  au  problème  est  correcte  que l’élève peut passer à l’exercice suivant. En d’autres termes, si une réponse est acquise à une étape  donnée  de  la  séquence,  l’élève  peut  passer  à  la  suivante,  etc.  jusqu’à  la  fin  de  laséquence,  c’est  à  dire  l’apprentissage  du  comportement  complexe.  Le  programme

d’enseignement,  ainsi  fractionné  en  sous-parties de difficultés croissantes  va  permettre  à l’élève  de  maîtriser,  séquence  après  séquence,  l’ensemble  du  contenu  d’un  cours programmé."

Denis Alamargot, in « Langage et Cognition », travail conséquent et remarquable (cf également Piaget.)

Denis Alamargot « Langage et Cognition »

Laboratoire LaCo - CNRS - Université de Poitiers

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Les rats plongeurs.

Coopération ? Solidarité ?
Compétition ? Agression ?
Rôles figés ?
Les rats ont-ils quelque chose à nous apprendre ? Quel rapport avec les enfants ? 
.
Pour le savoir, regardez :

.
Première remarque : 

Dans cette vidéo, un étudiant en philosophie se fait l'écho du "Darwinisme social".
Travaillant la question depuis quelques mois - ce qui fera l'objet d'un article à venir - je me dois d'apporter quelques précisions.  
Le concept de "Darwinisme social" est-il en germe dans la théorie de Darwin, lui appartient-il, ou est-il le fruit d'un dévoiement ultérieur ?
Patrick Tort, dans un excellent livre intitulé "l'effet Darwin", démêle le vrai de l'idée reçue.
D'emblée, ce dernier nous invite à ne pas confondre Darwin d'avec Herbert Spencer (1820-1903). Ce dernier, "ingénieur et philosophe anglais qui fut l’un des défenseurs les plus radicaux du libéralisme individualiste et concurrentialiste de l’époque victorienne." (1) p 27.
"C’est ainsi que Spencer – demeuré cependant lamarckien en biologie – inventera l’évolutionnisme philosophique, dont l’aboutissement sociologique constituera le « darwinisme social » (1) p 30.
Mais bien sûr, je reviendrai sur ce point prochainement.
.
Deuxième remarque :

Dans la vidéo est mentionné le terme de "rôle figé". Le substantif "rôle" me semble par trop appartenir au vocable critiquable de Jean-Paul Sartre, souvenons-nous du rôle du "garçon de café". En revanche, l'idée de "relations" ou "mode de communication" me semble plus pertinent. Qui n'a observé - en effet - un groupe d'élève respectueux d'un professeur et infect avec un autre ?

Un type de communication ou de relation s'est installé entre le maître et ses élèves. Lequel, une fois fixé est très difficile à modifier.
C'est ainsi qu'installée dans un train, en route pour l'école, j'ai pu assister à cet échange entre élèves de collège :
L'une disait : "Ah , oui, MMe ... , quelle c... , elle laisse tout faire."
A l'autre de répondre non sans pavoiser : "Ouais, elle dit rien quand on l'emmerde, quelle...."
                                                        
                                                                                                       Humain, trop humain ?

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Vincent Thomas - modélisation informatique.
Didier Desor.
Jean-Marie Pelt
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Patrick Tort - L'effet Darwin.
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9 juin 2012 6 09 /06 /juin /2012 06:56


J.-Wright-of-Derby----Philosophe-faisant-un-expose-sur-le.jpg« Penser, c’est aussi assumer la déformation constante de son esprit. »

Raphaël Enthoven (1)

« Apprendre, c’est organiser la rencontre. » 

Gilles Deleuze.

:… le « noochoc » est l’occasion d’apparition d’un élément différentiel 

qui crée un décalage, une vibration et permet à la pensée d’émerger 

à travers les fissures de la rencontre."

(2) Sébastien Charbonnier, p 49. 

 

 

L’enseignant ne se confond pas avec le(s) savoir(s) qu’il veut transmettre. 

                                                   Le maître se situe hors économie du spectacle.

 

Belles positions de principe, n’est-ce pas ?

 

Mais sommes-nous certains d’échapper à ces clichés ? De ne pas en suivre les principes à la lettre ? Sommes-nous sûrs qu’à force de « volontarisme » pédagogique, nous ne mettions pas la forme sur le devant de la scène, nous ne privilégions pas « la dramaturgie » du cours au détriment du fond ? Pire, que nous ne nous transformions pas en animateurs – experts en gestion de classe ? 

 

Le monde change - Clip 1 - "Nouvelles Pédagogies - Nouvelles Technologies"

 

Mon prof est un acteur 

 

Le désir d’apprendre se confond-il avec l’émotion suscitée au titre d’un spectacle ?

 

« Un cours ça se répète, c’est comme du théâtre. – énonce Deleuze. Si on n’a pas beaucoup répété, on n’est pas inspiré du tout. » (Abc, « professeur ») (2) p 87  

Si Gilles Deleuze, repris par Sébastien Charbonnier, a bien voulu dire « que le professeur doit se mettre en scène » ça n’est guère au sens de ‘faire passer’ des savoirs comme on enrobe de miel une pilule pour mieux l’avaler – non - Deleuze est bien trop subtil pour énoncer de telles trivialités. Au reste, dans ses cours le philosophe est assis au milieu de ses étudiants – statique – en dialogue avec les idées.

 

Alors, que veut dire Deleuze par là ? 

Il veut simplement signifier qu’un cours est tout sauf une improvisation. C’est un travail de longue haleine,  pensé, ruminé, construit. Elaboré.

 

Enseigner c’est avoir quelque chose à dire. C’est se présenter en tant qu’expert.

 

Développements :

 

I. Ce qui s’inscrit a-t-il à voir avec la rencontre d’un acteur, d’un personnage de roman ?

 

On ne pense à rien lorsqu’on regarde un acteur, lorsqu’on goûte un spectacle. Les couleurs, la rapidité des réparties, l’enchaînement des scènes, les changements de points de vue sont autant de merveilles aveuglantes, de spectacles qui vous carbonisent.

Les regards effarés savourent, se divertissent. L’esprit se relâche, l’élève devient « con-so-mateur » ; un consommateur à la cervelle consumée au lance-flamme de l’idée toute faite – prémâchée – celle du slogan.

 

Tout l’art du théâtre se situe dans l’artifice. 

Habile manipulation de pensées qui consiste à transformer l’artificiel en réel. A transmuter le faux, le toc, en pierres précieuses. 

L’alchimiste joue sur les stéréotypes – la fantaisie – les excès – les effets, toutes ces « techniques habiles » ont pour effet d’anesthésier la réflexion. 

La stupéfaction, l’admiration sont autant de fruits de l’anti-pensée. Autant de formes, de métamorphoses excessives destinées à provoquer l’étonnement, le choc.  … C’est la beauté hypnotisante de la méduse : celle qui vous statufie. Bloque la réflexion. Fait obstacle à l’intelligence. La faculté de juger selon un mode critique disparaît : vaporisé sous l’effet de l’image. 

Alice-Pike-Barney--Medusa--Laura-Dreyfus-Barney-.jpg

Pas de démonstration : un show. 

Pas de théorie : une manière directe d’observer le réel. Sans filtre. Sans clé. 

C’est le mur Facebook, celui qui montre tout et ne dévoile rien de l’essence des choses. 

Le divertissement, ça empêche de voir.

 

Selon Dewey, nous rappelle Britt-Mari Barth, « apprendre » signifie « apprendre à penser », c’est la position défendue par Canguilhem face à la philosophie. 

 

II. Dans quel espace se situe le travail de l’enseignant ? 

 

L’enseignement est affaire de perceptions. Le maître dispose d’un savoir précis, exigeant, qui lui permet d’aborder l’apprentissage dans un ensemble complexe, le but étant d’essayer de tirer l’élève du flou. 

Pour ce faire, il se doit de signifier explicitement à l’élève les clés : L’apprentissage est un processus interne(3). Si l’élève n’a pas conscience des bénéfices qu’il peut tirer de son temps de classe, ne se mobilise pas intellectuellement, rien ne se produira.  En d’autres termes, vous pourrez user de tous les arguments possibles, si l’élève n’est pas volontairement impliqué dans ce qu’il fait, tous vos efforts se réduiront à néant.

Le travail de l’enseignant se situe donc - certes - dans un espace externe mais surtout dans un champ interne : celui de l’espace mental.

 

 Le raisonnement en est l’un des piliers, les connaissances, les fondations. Pour le dire autrement , « l'éducation intellectuelle [vise non seulement à fixer une solide base culturelle, mais] consiste [non moins] à former une pensée réfléchie. » 

 

C’est quoi favoriser l’exercice de la pensée ?

  "Heidegger… Qu’appelle-t-on penser ? « L’homme sait penser en tant qu’il en a la possibilité, mais ce possible ne garantit pas encore que nous en soyons capables. » (DR, 188 ; IT, 204) C’est une histoire de différence : ce qui diffère de ce que je sais déjà ou croyais savoir se présente comme nouveau à ma pensée ; ce nouveau me force à penser. Cet élément génital est baptisé « noochoc » par Deleuze. (IT, 204)

… « produire un choc sur la pensée » (2) p 34

 

Le noochoc, c’est un vacillement. « Riches de percepts et d’affects, un film, un tableau, une nouvelle [un album] ne sont-ils pas susceptibles de jouer ce rôle d’amorce qui force [je préfère le terme engage] les élèves à penser ? »(2) p 36.

 

L'enseignant de par sa formation et son expérience, est le plus à même d'analyser la nature des résistances, de repérer, concientiser, prendre en main, traiter les difficultés. De déconstruire les « prêt à penser »...  D’adapter ses pratiques en regard des besoins. Il sait comment l’aborder. Il détient un regard critique qui lui permet moult ajustements. Bref, faire preuve d’humanisme, demeurer dans des interrogations humaines, voilà le défi que tout enseignant entend relever

Britt-Mari Barth s’inscrit dans une mouvance Brunerienne. 

Pour faire court, Gérôme Bruner développe l’idée selon laquelle : comprendre, c’est négocier le sens.

Laquelle négociation passe par le langage, le dialogue. Ce dernier, précise Britt-Mari Barth « voit l'apprentissage comme une transaction, un échange entre l'apprenant [horrible terme - en effet] et un membre de sa culture plus expérimenté que lui. »

le langage, le dialogue, qui devient l'outil important de la communication et d'autres indicateurs non linguistiques – comme les gestes, l'intonation et les expressions du visage – sont également importants pour arriver à créer une signification commune. »

Mais là encore, il ne s’agit nullement de se transformer en dramaturge.

Si l’apprentissage négocie le sens, cela signifie qu’entre l’enseignant et l’élève, passe un fil – un fil conducteur – dont le maître va ajuster les paramètres de longueur, de tension, de taille. 

Eveiller, établir des contours ou une ligne directe, dévoiler, articuler – bref, s’inscrire dans un travail réflexif. 

 

 Pour arriver à une compréhension commune, il faut d'abord comprendre ce que l'enfant comprend. C'est donc la nature de l'échange (dans ses dimensions qualitatives) qui prime. L’échange et la rencontre. La rencontre de l’autre – l’étrange – le savoir. 

 

Conclusion : 

Jouer sur les mécanismes bien huilés de la dramaturgie est un jeu dangereux.

D’abord parce qu’il est éminemment aisé d’entraîner l’adhésion d’élèves déjà conquis – charmés – par le statut de l’enseignant. 

Ensuite parce que provoquer un désir – c’est transformer l’élève en spectateur, puis en consommateur.

 

Si le maître est un interprète – c’est dans le sens de la traduction qu’il faut l’entendre – dans le sens de rendre accessibles, compréhensibles les savoirs.

L’enseignant n’est ni  un animateur, ni un montreur de foire, ni un comédien – il ne s’abandonne pas au théâtre des sentiments - il est animé de la passion de transmettre – le désir qu’il doit susciter, c’est celui de l’envie de comprendre, du plaisir de penser le réel, de le démontrer éventuellement – de regarder les choses sous un nouvel angle – de bannir les fausses évidences – bref, une volonté portée vers les savoirs. 

« L’enseignant peut devenir un maître des rencontres. »p 32 :

 

Lesquelles se font sans artifices, sans arrière-pensée, sans théâtralisation. 

 

Enseigner – c’est un saisissement. 

 

 Joseph-wright-of-derby.jpg

 

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P 44 : Bruner(4) commente les théories vygotskiennes ainsi :

« Si l'on donne la possibilité à un enfant d'être guidé par un adulte - ou par un  camarade plus avancé que lui – celui-ci peut alors lui servir de substitution de conscience (vicarious consciousness) jusqu'au moment où il est capable de maîtriser sa propre conscience de la contrôler. Quand l'enfant atteint ce niveau de maîtrise consciente d'une fonction ou d'une conceptualisation nouvelle, il peut alors s'en servir comme d'un outil. » L'enseignant est donc un assistant qui va soutenir, développer les potentialités de chaque élève.  Britt-Mari Barth dévoile l'un des obstacles majeur à l'apprentissage  … « si une information va à l'encontre des idées reçues qu'on a sur un sujet, il se peut qu'on l'ignore simplement parce qu'on ne veut pas se remettre en cause, par orgueil, par paresse intellectuelle... ou par refus du « saut épistémologique » sur lequel Bachelard a attiré notre attention.  Toute  notre sensibilité fonctionne comme une grille qui peut refuser ou déformer l'information que les sens transmettent.» Britt-Mari Barth – Le savoir en construction , op cit, P 68.

 

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(1) Raphaël Enthoven. 28.06.2010 - Gaston Bachelard, le dormeur éveillé : vie et œuvre. Les nouveaux chemins de la connaissance, France Culture.

(2) Deleuze pédagogue – Sébastien Charbonnier – La fonction transcendantale de l’apprentissage et du problème – L’Harmattan. 2009 – Paris  ISBN : 978-2-296-10610-9.

(3) L’idée d’un processus purement externe est encore tenace.  Le maître lit sa leçon ; L’enseignant présente son exercice d’une manière attractive… Cela ne saurait suffire si l’élève n’est pas dans les mêmes dispositions que l’enseignant.

(4) « Vygotsky », a Historial ant Perceptual Pespective », in Wertsch JV, Culture, Communication and Cognition : Vygotskian Perspectives, Cambridge University Press, Cambridge, 1985.

      -----------------------------------

 

« Le « noochoc »… « C’est donc la coexistence des contraires, la coexistence du plus et du moins dans un devenir qualitatif illimité, qui constitue le signe ou le point de départ de ce qui force à penser. » (2) p 35 

 

« Il faut simplement qu’une puissance les « force à penser, les jette dans un devenir-actif. Une telle contrainte est ce que Nietzsche appelle « Culture. » (Nph, 123) Sur ce point, il faudrait réfléchir sur le rôle de l’art dans l’enseignement de la philosophie. Riches de percepts et d’affects, un film, un tableau, une nouvelle ne sont-ils pas susceptibles de jouer ce rôle d’amorce qui force les élèves à penser ? »(2) p 36.

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6 mai 2012 7 06 /05 /mai /2012 07:15

« Qu'est-ce en effet que les classiques 

Le-savoir.JPGsinon les plus nobles pensées enregistrées de l'homme ? »

Henry David Thoreau (1).

 

 

« L’avenir ne sera pas maudit, 

nous y avancerons par la recherche, 

dans la douleur et l’espoir. »  

Cédric Villani.

 

 

 

Etienne Klein était en train d’expliquer la théorie de la relativité devant un parterre de centraliens – il faut bien le dire peu enthousiastes …

 

 

Lorsque soudain, dans la salle un bras se lève. 

Le professeur s’empresse de lui donner la parole.

- « Monsieur, intervient l’élève, je ne suis pas d’accord avec la théorie de la relativité d’Einstein ! »

Surprit et enthousiaste, l’enseignant l’invite à développer sa pensée. L’étudiant aurait-il trouvé une faille dans l’enchaînement mathématique ? Aurait-il perçu une contradiction dans les termes ?

Et bien non.

Et à l’étudiant d’annoncer du haut de sa suffisance :

« Je suis pas d’accord.

- Bien pourquoi ? Insiste Etienne Klein.

- Non, vraiment, je ne sais pas mais… Einstein je ne le sens pas … Et puis son équation, je n’y crois pas. » 

 

 

Qu'est-ce que c'est que cette pensée où le travail est absent, tout entraînement superflu, sans échec possible ? 

 

Ici, ce qui est significatif, c’est l’idée – somptueuse - d’une réussite sans contrainte. Sans affrontement. Sans rendez-vous avec le savoir. 

On sent la comédie cachée derrière ce beau – ce grand objectif. Une illusion. Une chimère. La conviction intime de vaincre sans l’aide de quiconque.

 

Mais – au reste – cela est-il seulement possible, cette idée d’une pensée solitaire et constructive ?

 Cedric-Villani.jpeg

Prenons l’exemple de Cédric Villani, médaille Fields en mathématiques déjà évoqué sur ce blogue. Son excellence, se situe moins dans sa capacité prodigieuse à résoudre des équations que dans sa « manière de voir les choses ». Il y a les matheux – explique-t-il – mais comme toute personne lucide – en prise avec le monde et sa complexité - il connaît ses points forts et ses faiblesses (Toutes choses étant relatives par ailleurs.). 

« Je trouve des connexions entre les questions qui ne semblent pas en avoir. » Mais ces connexions, ces liens, il ne les trouve pas seul. « J’ai pris plusieurs embranchements inattendus – ajoute-t-il - au gré des rencontres avec des matheux travaillant dans d’autres domaines. Il faut être curieux, tenace et imaginatif. » 

 


Ainsi, nous le voyons, l’idée du chercheur solitaire planqué dans sa tour d’ivoire est un mythe.

 

C’est le mythe du « self-made-pensée » – 100% vue à la TV, série made in USA. Peut-on se faire seul ? Sans l’aide de personne ? Le jeune philosophe Cédric Lagandré le self-made-man n’est pas un homme. Il développe : « selon Aristote il n'est pas humain : seul l'animal « se fait seul », c'est à dire non pas « librement », mais sans monde en partage, et précisément ailleurs il ne se fait pas. » (2) p 85-86.

 

Nous sommes le fruit de notre culture. Comme tout le monde, le chercheur a ses préjugés, ses idées reçues, ses convictions. Ce dernier aura spontanément tendance à s’intéresser aux travaux qui vont dans son sens. Un moyen de ce prémunir du solipsisme est de parler, communiquer, échanger avec d’autres chercheurs. 

 

Cédric Villani évoque clairement sa place au sein d’une communauté de chercheurs. Les publications, les colloques ont ces fonctions de dialogues actifs, d’échanges contradictoires constructifs.  

 

En outre, un chercheur fait partie d’un laboratoire, d’une équipe. Ainsi n’est-t-il pas rare qu’un chercheur finisse les travaux de ses prédécesseurs.

« .. en 1854, Rayer et Davaine observèrent des bâtonnets cylindriques dans le sang serenpiditecouvertured’animaux morts du charbon, mais cette observation ne mena à rien tant qu’une connexion ne fut pas établie avec une autre observation, celle de Pasteur, qui remarqua que le même bâtonnet était l’agent de fermentation du beurre. » p 59 De la sérendipité, dans la science, la technique, l’art et le droit – Leçons de l’inattendu – Pek van Andel, Danièle Bourcier. 

 

      Nous sommes un maillon.

Or un maillon fait toujours partie d’une chaîne. Il n’existe pas de maillon seul, « Il faut savoir – écrit la professeur de philosophie Hansen-Love , citant Hegel - que la progression de la culture ne peut être regardée comme le calme prolongement d'une chaîne, aux maillons précédents de laquelle les maillons suivants seraient rattachés - certes, de telle façon qu'il soit tenu compte de ceux-là - mais en raison de leur matière propre, et sans que ce travail ultérieur soit mis en perspective sur le premier. »

La philosophe – toujours citant les 'Textes Pédagogiques' -  poursuit : « la culture doit nécessairement disposer d'un matériau et objet préalable sur lequel elle travaille, qu'elle modifie et élève à une forme nouvelle. » (Trad. fr.. Bernard Bourgeois ,( 1811)in Textes pédagogique Paris, Ed. Vin, 19781978, p 82)

 

Einstein fait suite à Lavoisier, connaissait les travaux de Poincaré (pas le président, Henri, son cousin.) etc.

Etienne-Klein.JPG

 

Il va de soi qu'« Aucune pensée n'est jamais isolée »(3) Lucien Jerphagnon le montre tout au long de son livre dédié à l'Histoire de la pensée. « Il y avait bel âge que l'Antiquité avait posé que de nihilo nihil fit, que de rien, rien ne sort – et on savait dire pourquoi.(4)» La pensée est le fruit d'une histoire, c’est une construction. En philosophie, comme dans d'autres matières, les élèves s'inspirent des pairs « fondateurs », les lisent, les analysent, fournissent des objections, enfin, conçoivent leur propre opinion philosophique. 

 

« Nos théories n'ont donc rien de neuf; - souligne Plotin, au IIIème siècle - elles ont été énoncées il y a longtemps... (5)» On a tout à gagner de ce partage. On a tout intérêt à cultiver l'échange, à apprendre des autres plutôt que de se contenter de ce que l’on sait ou croit savoir, de ce que l'on fait ou croit bien faire. Aussi, qu'on se le dise, imiter le meilleur de ce que nous a donné la culture humaine, toucher du doigt leur pensée, sans la déformer ni la trahir, saisir les subtilités, sans prétention, en toute humilité, sans être soi-même Rimbaud (premier en versification) ou Verlaine, échanger sur ce qui cela nous inspire, serait peut-être déjà pas si mal comme objectif, non ?  

 

 Ensuite, fort de cette réflexion - «  il arrivera que le cadre de ces grandes pensées, révolues mais toujours influentes, fournisse à tel penseur de première grandeur le principe organisateur de son propre génie... » (6) Lucien Jerphagnon.

 

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(1) Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, L'imaginaire Gallimard, 2009, Mesnil-sur-l'Estrée, p 119.

(2) Cédric Lagandré, La société intégrale, climats, Paris, 2009, ISBN : 978-2-0812-2014-6. 

(3) Histoire de la pensée. Lucien Jerphagnon, P 226.

(4) P 376, op. Cit.

(5) P 228, tiré des Ennéades, V, 1,8).

(6) P 228, op. Cit

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      E = MC2 ?

 

 

 

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Présentation

  • : Le chêne parlant
  • : L'éclectisme au service de la pédagogie & L'art de suivre les chemins buissonniers. Blogue de Virginie Chrétien chrétien. Maître formatrice en lien avec l'ESPE de Lille. Rédactrice chez Slow Classes. Partenariat : philosophie Magazine. Écrivaine : La 6ème extinction - Virginie Oak.
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Introduction.

L’éducation, dans son étymologie même, c’est : «Educere, ex-ducere, c’est conduire « hors de » rappelle le philosophe Henri Pena-Ruiz dans Le Philosophoire. Charles Coutel parle quant à lui d'[Educarea] ēdŭcāre ‘prendre soin de l’ignorance de l’élève’. "Le rôle de l’éducation - dit-il - c’est de me disposer à mon humanité en moi grâce à mon instruction." Ecoutons George Sand… « Mes pensées avaient pris ce cours, et je ne m'apercevais pas que cette confiance dans l'éducabilité de l'homme était fortifiée en moi par des influences extérieures. » George Sand, La mare au diable, Folio Classique, 892, P 37. Ce blogue se propose de partager des outils pédagogiques, des moments d'expériences, des savoirs, des lectures, de transmettre des informations relatives à la pédagogie ordinaire et spécialisée, des idées d’activités dans les classes allant du CP au CM2 en passant par la CLIS. Enfin, on y trouvera aussi quelques pensées plus personnelles. « Notre savoir est toujours provisoire, il n'a pas de fin. Ce n'est pas l'âge qui est le facteur déterminant de nos conceptions ; le nombre de « rencontres » que nous avons eues avec tel ou tel savoir l'est davantage, ainsi que la qualité de l'aide que nous avons eues pour les interpréter... » Britt-Mari Barth, le savoir en construction. ________________________________________________________________________________________________ 1 Le Philosophoire, L’éducation, n° 33, P16 2 P 52, Britt-Mari Barth – Le savoir en construction – Retz – Paris – 2004 – Isbn : 978725622347

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