Lors d'un précédent article, nous en étions à nous questionner sur la façon d'améliorer le processus de conceptualisation chez nos élèves...
Partant du principe que les élèves choisissent des attributs inappropriés ou non essentiels, il convient – avions-nous dit - de les aider à déterminer lesquels le sont justement et ce qui les distingue des autres.
L’une des méthodologies est l’entraînement à la perception et au questionnement.
Quelle est la nature de cet entraînement ?
L’une des réponses apportées par Britt-Mari Barth est l’inférence inductive.
Qu’est-ce que l’inférence inductive
?
Pas de panique…
L’inférence inductive, c’est partir d’un exemple unique pour en déterminer une hypothèse qui sera ensuite validée ou non par l’expérience. « L’inférence inductive – nous dit Britt-Mari Barth, l’apprentissage de l’abstraction - infère une règle à partir d’une information limitée, à partir de l’observation de faits particuliers, des exemples. ». P 97
Concrètement, explique la chercheuse, vous venez d’acheter des bonbons. Votre frère sort de votre chambre en courant, vous en inférez, qu’il vous a « chipé » quelques bonbons.
Mais attention, une inférence inductive – non vérifiée par l’expérience - peut mener à bien des erreurs interprétatives, bien des conclusions erronées. D’ailleurs, cette dernière ne serait-elle pas à la base des idées reçues et clichés de toutes sortes ?
L’inférence déductive – quant à elle – part de plusieurs exemples pour en déduire une règle.
Par exemple : la tulipe a besoin d’eau et de sels minéraux pour vivre, le haricot, le blé, idem, donc toutes les plantes
ont besoin d’eau et de sels minéraux pour vivre.
Les deux sont utilisées en sciences. C’est la raison pour laquelle les sciences sont ( cf site LAMAP) – à mon sens un élément
essentiel – un outil incroyablement riche – et malheureusement sous-employé - d’aide à la réussite
scolaire.
Les sciences ( par l ‘émission d’hypothèse, par le questionnement qu’elles génèrent) sont un remède aux inégalités d’apprentissage. J’y reviendrai dans divers articles, malheureusement, je ne peux pas tout traiter, tout de suite… dommage… Mais j’y travaille.
Autre remarque de taille, lire un texte, le comprendre, revient à effectuer nombre d'inférences. Travailler l'inférence n'est donc pas sans conséquences sur des matières telles que le français. Le site de l'Académie de Reims propose un document - livre réalisé par Régis Camus tout à fait intéressant, à feuilletter...
Voici une vidéo issue du Ministère de l'Education de l'Ontario, présentant le concept d'inférence lié à la lecture. Steve Bissonnette y est très clair (Il fait référence - dans son travail - à un courant d'enseignement, dit "enseignement explicite").
Petite réserve : Le fait de prendre son parapluie ne permet pas d'inférer la température (puisqu'il peut pleuvoir à 30° ou à 3°, c'est la tenue vestimentaire qui le permet.) Mais ceci n'enlève rien à la qualité du discours.
Pour en revenir au sujet qui nous préoccupe, comment procéder ?
Britt-Mari Barth part d’un point unique (inférence inductive).
Puis à l’aide d’exemples « Wez » (Le lien reprend très fidèlement les exemples du livre. Un exemple "Wez" est en concordance avec le concept à travailler - similaire - il contient tous les attributs du concept à travailler - on l'appelle exemple oui.) et apport d’exemples non « Wez » (dissemblables du concept à travailler - exemples non), l’élève peu à peu, va émettre des hypothèses, se construire sa règle, la vérifier, l’affiner, la modifier, etc.
Le but de la démarche est non seulement de se questionner mais de modifier son point du vue (or modifier son jugement –
faire preuve de plasticité – est très difficile chez les élèves en difficulté. Et il y a des raisons objectives à cela. Ce n’est pas un hasard si nous en revenons à la plasticité
cérébrale - il existe d'autres raisons - je détaillerai plus tard.). Bref, ne pas être enfermé dans son savoir et son jugement mais faire preuve de souplesse, d’invention, d’innovation,
voilà une des clés de la réussite scolaire.
Voici un exemple concret :
Concept de chaise :
Nous montrons la photo suivante :
Les élèves déterminent sans difficulté
qu’il s’agit d’une chaise.
Pourquoi ? Ils donnent les indices qui leur ont permis de produire cette réponse : Elle est en bois dit l’un, elle a quatre
pieds dit l’autre. Pour en revenir à l’article précédent, ils évoquent des attributs observables. Nous rebondissons donc sur l’attribut évoqué bois. (Nous aurions pu prendre également celui des
quatre pieds).
Nous montrons donc une autre image :
(chaise en fer).
C'est un exemple Wez (car c’est une chaise, donc un exemple qui vient conforter la règle).
Ici, c’est une chaise aussi, mais elle est en fer, dit l’un. Oui et elle a quatre pieds insiste l’autre. On apportera donc un exemple non Wez ( le tabouret a quatre pieds, et pourtant, ce n’est pas une chaise.). Pourquoi ?
Le tabouret a quatre pieds mais «
il n’a pas de dossier ». Fait remarquer l’un. Avoir quatre pieds n’est donc peut-être pas un attribut pertinent (au concept de chaise). Ce n’est pas une chaise mais un tabouret. Donc une chaise a
forcément un dossier.
Etc. C’est par comparaison d’exemples et de contre-exemples que l’élève va construire, affiner sa définition de l’objet.
Exemple non wez (fauteuil).
Remarque : Le travail de l’enseignant est essentiel, puisque c’est lui qui va avancer les exemples et contre-exemples
pertinents et variables en fonction de la situation (des réponses des élèves).
En outre, l’enseignant peut « guider » les élèves en posant des questions « élucidantes ». C’est-à-dire des questions qui vont relancer le questionnement, l’émission d’hypothèse, etc.
Conclusion :
L’élève peu à peu va être amené à s’interroger sur ce qui fait la bonne (ou la mauvaise réponse). Il va acquérir des procédures de questionnement, de réajustement qui vont peu à peu s’étendre aux autres matières. Sa pensée va devenir « plastique ».
Enfin, un exemple - ou des exemples - différent des autres, va venir conforter la
règle.
Cette photo représente-t-elle une chaise - ou non ? Pourquoi ?
Vous pourrez trouver sur ce site issu de l'Académie de Paris, les images reprises ci-dessus. L'exploitation proposée (La chaise, instrument de pouvoir) est différente mais tout aussi intéressante.
(Aparté : en philosophie, Platon avait donné la définition suivante de l'homme : bipède sans plume.
Lorsque Diogène le Cynique lui lança un poulet plumé en lui disant : "Tiens, le voilà ton homme.", Platon fut obligé de réviser sa définition, laquelle devint : "Bipède sans plume avec des ongles plats."
Moralité n° 1 : Mieux vaut toujours vérifier son hypothèse avant de la généraliser.
Moralité n° 2 : On espère Platon meilleur en philosophie qu'en science .)
Britt-Mari Barth détaille l’enchaînement des opérations mentales qui concourent à l’apprentissage d’un concept (p 97) :
(Ceci n’est pas étranger au travail de Jérôme Bruner, bien sûr ) :
a) perception : donner une signification aux sensations, distinguer des différences,
b) comparaison : distinguer des ressemblances en fonction d’un critère qui est de la même nature et du
même niveau d’abstraction (par exemple fruits et légumes et non fruits et poivron),
c) inférence : proposer une combinaison constante d’attributs parmi les ressemblances
distinguées,
d) vérification de l’inférence : vérifier la constante de la combinaison dans tous les exemples mis à la
disposition,
e) répétition de c et d : en cas d’échec de la vérification, modifier la proposition et faire une nouvelle
vérification.
f) Proposition d’une conclusion et sa vérification (abstraction ou généralisation) (p 101)
On peut donc aider les élèves en les entraînant à la perception (que faut-il voir ?) - p 121, par un
entraînement à la comparaison (On compare : hiver / été… Mer /montagne, en déterminant les points communs et non communs.) - p 128, par un entraînement à l’inférence et à
sa vérification - p 131, par un entraînement à l’hypothèse et à sa vérification.
L’hypothèse… est tout simplement une extension de l’inférence.
Cela revient, à « percevoir, comparer, faire des inférences, les vérifier, faire des hypothèses,
généraliser… » nous dit-elle page 143 .
En gros, toujours se demander, « Qu’est-ce qui fait la bonne réponse ? », p 150.
P 152 : "C’est en aidant l’élève à structurer les éléments pour qu’ils prennent du sens, que l’enseignant est le plus
utile. L’interaction verbale avec les camarades, le « conflit cognitif » est également un instrument qui permet, par la confrontation des représentations, d’approfondir la
compréhension."
P 61 : "Le rôle de l’enseignant consiste à faciliter la conceptualisation, c’est-à-dire à guider l’élève dans la
mise en relation pour qu’il puisse organiser et intérioriser la nouvelle information à partir de ce qu’il sait déjà."