Book of Life (2000) by Robert and Shana ParkeHarrison
A quoi tient l’amour que l’on porte à un être, à une matière ?
Qui sait ? Qui peut savoir quand cela se produit et où ?
Dans la caverne de Homeland, Carrie Mathison est agent de la CIA, son travail consiste à débusquer les éléments terroristes, à dévoiler les impostures, à dénicher la vérité au plus profond de la meule du réel.
Bourreau de travail, méthodique mais également intuitive - nous le verrons - la jeune femme trouve, au fil des affaires résolues, une place stratégique au sein de l’agence.
Au détour d’une enquête épineuse, une personne de confiance l’informe de la collaboration d’un agent d’importance avec la partie adverse. Aussi, lorsque le sergent Brody surgit dans l’univers médiatique après 8 longues années de captivité en terre étrangère, à coup sûr, l’esprit bouillonnant de l’espionne ne fait qu’un tour.
Persuadée de la culpabilité du militaire, de son retournement à l’ennemi, la machine à dépecer Mathison entre en action.
Phase numéro 1 : L’étude.
Carrie en toute méconnaissance de chose mais fraîche de ses préjugés 2* et savoirs antérieurs, écoute, s’imprègne de son sujet, se documente, dévore l’ensemble des informations disponibles. Bercée de l’objectif de résoudre l’affaire, l’analyste pèse avec méthode chaque mot, ausculte chaque phrase. Lit. Considère les faits un à un.
L’ex-prisonnier de guerre est passé au crible, le moindre événement est soigneusement consigné, clairement identifié, précieusement enregistré.
Comme Mathison opère avec son calme fougueux habituel - et qu’elle excelle à couper les fausses évidences en huit - elle croit progresser dans son étude.
Rien n’est moins sûr.
Si édifier une théorie consiste effectivement à entrer dans une logique, développer un regard avec « cortège et contemplation » 3*, le scientifique n’est jamais neutre. Son intellect est pétri d’idées et de savoirs reçus de sa vie antérieure.
« C'est dire, du coup – nous révèle Edgar Morin dans science avec conscience, petit chef d’œuvre à l’intelligence coupante - que ce serait une grossière erreur que de rêver d 'une science qui serait purgée de toute idéologie et où ne régnerait plus qu'une seule vision du monde ou théorie « vraie ». » 4*
Pour le dire autrement - un problème de mathématique, un agent double, un individu sera toujours davantage que la somme des données accumulées sur lui.
Les faits ne sont-ils pas la crête, le résultat visible, apparent, d’une foule d’opérations antérieures ? Et si l’on pouvait pratiquer une auscultation méthodique en les imprimant sur papier ; cette succession de points solides, proprement alignés à la file des jours, des semaines, des mois, parleraient… Révèleraient… Quoi ?
Les palpitations d’un encéphale stimulé de champs électriques contradictoires. Un horizon ténu, un rayon vert - perçu par l’aiguillon de nos sens - mais dont les forces mouvantes sans nombre demeurent cachées.
Le visible pour le philosophe Michel Foucault n’est-il pas « L’écume – les nuages de l’existence propre » 5* ?
Phase numéro 2 : La rencontre.
Comme pour chacun d’entre nous, Carrie Mathison est le fruit de son histoire et de sa culture. Puisque Brody est l’agent recherché, il convient d’en accumuler les preuves et le tour est classé. Dossier résolu. Retour à la case confortable des recherches sur table et lectures de données.
Dans sa naïveté toute occidentale, c’est-à-dire foutrement simplificatrice, Carrie Mathison est persuadée qu’un entretien suffit. Un échange verbal avec le marine, un dialogue un peu poussés, provoqueront un silence embarrassé et de cette hésitation dans la réponse, l’erreur émergera. Alors, le paysage du coupable sera étalé au grand jour. Saul Berenson, un agent haut placé de la CIA, accepte – davantage pour faire plaisir à Carrie que par conviction de la duplicité de Brody - d’organiser l’échange.
A première vue, rien n’a émergé de l’entrevue.
Nicholas Brody et Carrie Mathison ont tous deux joué leurs partitions.
Ca donne un remarquable échange de platitudes, on ne peut plus convenues. Impeccables.
Et pourtant, l’atmosphère dans la salle est déjà pleine d’influences souterraines. De regards esquivés. De silences troubles.
De l’ordinaire, du banal, surgit ‘Un infime changement d’état’.
Sicile 2017 - photo le Chêne parlant
Phase numéro 3 : Le tissage de l’araignée - phénomène plus communément étiqueté : « faire des liens ».
Sur le fond gris des lignes vidéo, contre toute attente, aucune preuve n’émerge. Pire, rien ne fonctionne comme prévu : l’œil de l’experte a beau s’attarder sur l’écran, le film ne révèle rien de l’autosatisfaction visible chez la plupart des personnages médiatiques. Carrie ne trouve pas plus trace de la froideur mécanique propre aux vedettes programmées pour exécuter leur service. L’image est inversée. Le soldat adopte un comportement étrange, inattendu. L’étude se découpe sur image sensible Le son grésille non d’une froideur souterraine mais d’un indicible froissement.
Au long des semaines, les contours du rescapé se précisent : Brody porte les stigmates, autant de cicatrices, qui font l’inordinaire du blessé aux longs jours.
L’homme appartient au monde de l’exil. Et ces féroces ruptures, pour Carrie - en font un autre moi.
L’escalier de la connaissance est à double révolution.
Plus l’agent de la CIA scrute le phénomène, l’étudie, plus la nature indivisible, entière, unitaire du sujet se craquèle : sous l’uniforme, la carapace révèle une complexité insoupçonnée.
Et tout à la fois plus les imbrications se multiplient, foisonnent, plus la force d’attraction de l’objet d’étude croît.
Ce dont elle n’a pas encore conscience c’est que peu à peu, l’objet d’observation devient sujet de prédilection.
Robert et Shana Parkeharrisson - Tonnerre
Pourquoi ?
Petit détour explicatif…
John Perry, le philosophe auteur de La Proscrastination, 6* compare – au début de son article intitulé « Un match de boxe intérieur » - le désir à l’envie de dévorer une crêpe à la cannelle. Pour ce faire, le touriste devra développer des compétences linguistiques (afin d’acheter sa crêpe), des croyances (l’idée selon laquelle la crêpe me fera du bien malgré mon régime en cours) – « ce mélange de désir, de savoir-faire et de croyances, qui est indispensable à toute action humaine, est ce qu’il appelle un « complexe de motivation ». » 6*
Le philosophe s’inscrit ici dans la conception classique des volontés qui se percutent – le billardball universe - comme autant d’atomes - vision égocentrique et égocentrée sur sa petite personne et ses multiples motivations.
Dans cette vision – réductrice – l’autre est toujours chosifié, objet de convoitise, jamais sujet. 6*
Dans la droite courbe de cette manière de voir : le triangle de la pédagogie, j’en parlerai.
Egalement, la conception deleuzienne, évoque Sébastien Charbonnier 7* - du Paquet enveloppant le problème. On ne désire pas un problème, affirme Gilles Deleuze, on désire le papier qui l’entoure, comme un paysage à dérouler. Le danger de cette hypothèse, ce n’est pas sa fausseté – car bien sûr l’éros 8* de la recherche est connu -, c’est son caractère partiel et radical. Mais n’est-ce point le lot de tous les tripatouilleurs de concepts et vendeurs de systèmes dénoncés par Nietzsche ?
Deleuze enfonce le clou : « Le désir, ajoute-t-il dans D comme désir, c’est construire un agencement, ce n’est rien d’autre. »
Calme, volupté, plaisir, luxure, circulez ?
En matière de science, la recherche se bornerait-elle à mater une paire de fesses, ou peloter des seins fussent-ils ceux de la Vénus de Milo ?
La Naissance de Botticelli - nombre d'or.
Le mathématicien Cédric Villani exprime très bien cette force souterraine irrépressible poussant l’individu à commettre ses recherches. Pour lui, c’est l’entropie 9* - nul n’est parfait. Rien à faire, Subitement, l’envie de connaître se mêle de sentiments, prend le pas sur la raison.
C’est là. « Quand j’entreprends quelque chose, révèle Cédric Villani à la journaliste Caroline Fontaine -, je l’entreprends complètement. » 10*
Et il y a une espèce de folie – une sorte d’autisme - à se consacrer si pleinement à l’étude. Toutes les régions de l’intellect brouillonnent du phénomène étrange. On pense le surgissement, on le mange, on le dort.
« C’est vrai que, de l’avis de tous, il est capable de développer une concentration étonnante. – témoigne sa compagne.
Cela se produit dès qu’il touche un point épineux, travaille sur une équation particulièrement difficile. : «son esprit est tellement absorbé, qu’il faut lui demander un accusé de réception pour s’assurer que ce qu’on lui a dit est bien monté au cerveau ! Ce n’est pas grave, le tout est de le savoir... » 10*
Si le scientifique poursuit ses analyses malgré les difficultés, les échecs, la gadoue, ce n’est uniquement par plaisir d’admirer un magnifique petit lot d’équations - fut-il à 5 inconnues - ou par orgueil d’être potentiellement le premier à la résoudre.
Non.
Alors quoi ?
Revenons à Homeland…
Au fil de l’histoire, le cœur du spectateur palpite, chavire, se passionne pour Carrie et Brody. Le sériephage s’interroge sur le moment de leur rapprochement. Espère. Voit en chaque occasion la possibilité d’un monde. Si le télévore lambda apprécie ce type d’événement, cela va au-delà du voyeurisme ou d’un « midinisme » fleur-bleue-pâle, c’est qu’il pressent qu’il se joue là quelque chose - un essentiel. En physique, on appelle cela une singularité – non seulement une chose ne devant pas se produire, mais une anomalie – un évènement fondamental.
Effectivement, les tentatives se rapprochent. Afin d’en savoir plus, Carrie simule une rencontre fortuite dans un groupe de vétérans fréquenté par Nicholas. Une autre fois, c’est Nicholas qui demande à lui parler. A nouveau, le métal éclatant des hypothèses [ID anticiper] est un guide aveuglant. Les perches tendues sont autant de coups d’épée dans l’eau.
Les deux personnages se ratent, se cherchent, se désirent, se ratent encore, se croisent
– et, toujours ce manque.
Une analyse superficielle consisterait à incriminer les scénaristes. Ces écrivains étoilés ont le zèle du suspens, l’art de savoir tenir le public en haleine, pratiquent leur métier de sapeurs de rencontres avec brios. Après tout, les histoires simples offrent peu d’intérêt. La foule aime les retournements imprévisibles, les coups du destin, les situations perdues à l’issue heureuse et vice-versa. Une relation banale ne rencontrerait à coup sûr aucun succès.
Mais on peut aller plus loin dans l’analyse.
Qu’est-ce qui les entrave ?
Pour saisir la complexité d’autrui ou d’un problème encore faut-il entrer dans son monde – être de son univers. En saisir la structure, les caractéristiques.
Si les deux mondes ne sont pas corrélés … Quand chacun des concepts 11* de la pensée de l’autre contient des attributs différents, ça donne à peu près ceci :
« Un sourd citait un sourd devant le juge sourd.
« Il m’a volé ma vache ! » criait le premier sourd.
« Permettez, lui hurla le second, cette terre
Appartenait déjà à mon défunt grand-père. »
Le juge statua : « Evitons le scandale,
Mariez le gars mais c’est la fille la coupable. »
A. S. Pouchkine, poème sans titre, 1830.
Pensée et langage 12*, pages 466-467.
A l’inverse, deux êtres partageant le même univers, vont communiquer un peu à la manière de Kitty et Lévine dans le roman « Anna Karénine » de Tolstoï, repris par Vygotski dans son « pensée et langage ».
« Les romans de Tolstoï, qui est revenu à plusieurs reprises sur la psychologie de la compréhension, offrent des exemples frappants de ces raccourcis du langage extériorisé et de sa réduction aux seul prédicats. « Personne ne distingua ce qu’il (Nikolaï Lévine mourant) disait, seule Kitty comprit. Elle comprit parce que sa pensée était sans cesse à l’affût de ses besoins. » L. N. Tolstoï, Anna Karénine, Cinquième partie, chapitre XVIII. Nous pourrions dire qu’en suivant la pensée du mourant elle avait présent à l’esprit le sujet auquel se rapportait ce qui avait été compris de personne. Mais l’exemple peut-être le plus remarquable est l’explication entre Kitty et Lévine à l’aide des initiales des mots. « Je voulais depuis longtemps vous demander une chose. » […] « Je vous en prie, demandez. » - « Voici, dit-il, et il écrivit les initiales : Q, V, M A, R : C, N, E, P, P, C, S, I : A, O, J. Ces lettres signifiaient : « Quand vous m’avez répondu : ce n’est pas possible, cela signifiait-il : alors ou jamais ? » Il était peu vraisemblable qu’elle pût comprendre cette phrase compliquée. […] « J’ai compris » dit-elle, en rougissant. – « Quel est ce mot ? dit-il, en indiquant le J, qui désignait le mot « jamais ». – « Ce mot signifie « Jamais », dit-elle, mais cela n’est pas vrai. » Il effaça rapidement ce qu’il avait écrit, lui tendit la craie et se leva. Elle écrivit : A, J, N, P, R, A. […] Soudain il
rayonna de joie : il avait compris. Cela signifiait : « Alors je ne pouvais répondre autrement. » […] Elle traça les initiales : Q, V, P, O, E P, C, Q, E, A. Cela signifiait : « Que vous puissiez oublier et pardonner ce qui est arrivé. » Il saisit la craie de ses doigts que la tension de son esprit faisait trembler, la cassa et écrivit les initiales de la phrase suivante : « Je n’ai rien à oublier et à pardonner, je n’ai pas cessé de vous aimer. » […] « J’ai compris », murmura-t-elle. Il s’assit et écrivit une longue phase. Elle comprit tout et, sans lui demander s’il en était bien ainsi, elle prit la craie et répondit sur-le-champ. Longtemps il ne put comprendre ce qu’elle avait écrit et souvent la regardait dans les yeux. Le bonheur lui ôtait toute lucidité. Il était absolument incapable de reconstituer les mots qu’elle avait voulu dire ; mais dans ses yeux ravissants, rayonnants de bonheur, il comprit tout ce qu’il fallait savoir. » 12 *p 464 – 465.
Naturellement, la chose est plus aisée quand les deux entités sont issues du même monde, de la même sphère. C’est ce qui peut laisser à penser en la facilité de trouver l’âme sœur – ou l’esprit frère - dans son entourage.
La rencontre n’est point de cet ordre. Aucun axiome ne saurait définir ce qu’il se passa entre Montaigne et La Boétie.
Ca advient. Ce n’est pas une addition, c’est une émergence*.
En ce qui concerne Carrie et Brody, leurs caractères n’ont rien d’incompatible, bien au contraire.
Simplement, la pensée est une partition et, malheureusement, jusqu’à présent, la musique intérieure de l’un est toujours en décalage avec celle de l’autre.
Virgini le chêne parlant Sicile 2017
Phase numéro 5 : Penser, ou agir contre...
Travailler dans un domaine de recherche, c’est essayer d’effleurer la chaleur d’une flamme située 200 km, un jour de soleil.
Ca demande de dépasser sa propre ramure. D’entendre l’infime palpitation du vent battant au-delà des branches.
De rencontrer le rythme géométrique du ciment scellant les briques rouges de son propre entendement. Etre ce mur là. Cette faille. Ce grain prêt à chuter ou à voler – emporté par la bourrasque.
Suivre la respiration du lierre.
C’est plein d’inspirations floues, d’expirations troubles. La symphonie des découvertes scientifiques se jouent au violon des stagnations, des piétinements, du découragement.
Il convient d’accepter de se tromper dans l’interprétation des signes.
Ne pas s’effrayer d’entrer dans le monde de l’errance ; de pénétrer dans le labyrinthe de l’ignorance sans être certain de ne pas s’y perdre.
Pourquoi ce gouffre ?
Pour saisir la complexité d’autrui, encore faut-il entrer dans son monde. En appréhender la structure, les caractéristiques. Voilà qui réclame un effort de décryptage. Or, peut-être cette avancée paraît-elle difficile, dérisoire, vaine à la plupart ?
Sans doute lever l’énigme demande-t-il une dépense d’ énergie trop importante ? Mais c’est également – nous allons le voir - céder une part de soi à l’avantage de l’autre ;
Reprenons.
Le problème de mathématique est fait de concepts complexes liés entre eux par une histoire, des liens physiques, des champs implicites, ce n’est pas qu’une équation, c’est un univers. Appelons cela un « paradigme » 13*. Or, pour que le mathématicien puisse le résoudre, il doit en saisir non seulement le sens - cela suppose de se dépouiller de ses préjugés, se débarrasser de sa culture, de quitter ses propres schémas de pensées… - mais plus encore de pouvoir l’embrasser de toute « son étendue ».
Là est sans doute le plus difficile à appréhender, puisque, finalement, résoudre un problème complexe – c’est en épouser tous les paramètres – donc, en quelque sorte, l’avoir déjà résolu.
Ca provoque une étrange impression, celle d’une connaissance déjà sue, comme l’indique Platon en citant Socrate dans Le Ménon. Connaître, c’est en somme, se ressouvenir. 14*
C’est cette plongée irrépressible au bout de l’impossible qui fait la condition du chercheur, son charme et sa solitude…
Le fou de sciences rumine son théorème, sent « sa » présence partout. Ca lui donne l’air gentiment décalé, précisément à côté de la plaque, de l’amoureux, mi-nuage, mi-fébrile – prêt à chuter sur la glace de la vie quotidienne.
Retour à Homeland,
Dans la fiction, a priori, tout oppose Carrie et Brody. Leurs deux univers sont clos sur eux-mêmes. Carrie s’inscrit dans la sphère de ses recherches et de ses enquêtes. Quant à Brody, ce dernier est enfermé dans son histoire, ses blessures… L’un traque les terroristes, l’autre est un agent retourné. L’un est de l’ombre, l’autre sous le feu médiatique. L’un est tout de réserve, l’autre, pas, en apparence…
Rien, donc, qui puisse les rapprocher. Et pourtant, ils se reconnaissent… malgré.
Cette dimension du malgré, fait partie intégrante de la recherche. L’homme de sciences pense non seulement contre les autres – dans le cas de découvertes majeures, il s’oppose même à la société tout entière – mais aussi contre soi 15*. Il agit malgré soi, malgré les autres. Pensons à Pauli et son neutrino, Pasteur et le vaccin, Darwin et l’évolution des espèces, sans citer Galilée, exemple par trop convenu.
A la fin de sa vie, Albert Einstein ne parvint pas à dépasser sa foi, passa à côté de la physique quantique pour ces raisons, et ne cessa pas de se le reprocher.
Que se passe-t-il ?
C’est affaire de mouvements ondoyants. Un froissement d’air – infime point de convergences sifflant si fort. C’est là.
Le sentir et le ressentir ne sont pas étrangers à cette affaire.
Brody et Carrie se re-connaissent mutuellement. Lévinas parle de visage, en tant qu’entité humaine, singulière. Ils se « dévisagent » - manière de traverser les apparences.
Nous irons plus loin que Lévinas 16*,
L’objet de savoir est également un sujet.
Cédric Villani ne parle-t-il pas de « théorème vivant » ?
Pour faire court :
1) Le théorème est un univers, à part soi.
2) Le chercheur doit quitter son paradigme, pour avoir une chance de « rencontrer » le théorème.
3) Il se documente, travaille d’arrache pied, se désespère.
4) Un fait inattendu advient. Une prescience. Le chercheur sent sa présence. Un lien se noue.
5) Le monde du théorème lâche un peu de lui-même, infiltre celui du mathématicien. Il y a donc perméabilité. (Sans cet échange, aucune découverte ne serait possible.)
6) En aboutissant à ses conclusions, l’homme de sciences n’est plus le même. Il est devenu : lui et le théorème. Un infini… Une force. Une puissance. Mieux et plus - bien davantage que ce qu’il était, avant.
Aussi Cédric Villani se trompe donc lorsqu’il affirme qu’il passe à autre chose, une fois l’équation résolue. Quand bien même le voudrait-il, que cela lui serait impossible, puisqu’elle est partie intégrante de lui-même. A présent, il pense avec elle.
« Si l’occasion est une grâce, la grâce a besoin, pour être reçue, d’une conscience en état de grâce. » Vladimir Jankélévitch 17*
Dans la série, les deux protagonistes sont en état de grâce. C’est l’intuition d’une présence. Elle, d’habitude adepte du litium, en raison de ses troubles bipolaires – trouvaille des scénaristes américains adeptes du manichéisme : un être doué de fulgurances, faisant des liens improbables et pensant en couleurs est forcément a-normal - s’équilibre. Brody la guide. L’aide à se retrouver elle-même. la protège. Croit en elle.
La machine à penser repart de plus belle – rien n’arrête les mouvements de ses cogitations, ses fissures sont autant de passages, ses failles des ouvertures, ses faiblesses des sensations ouvrant vers des infinis.
...à cœur perdu.
En partenariat avec :
* J’y reviendrai - une autre fois.
1* Martin Duru, Philosophie Magazine Juillet/ Août 2014 n° 81
2* – l’idée reçue forme la base du jugement -
3* Le de la Theoria au sens grec l’inspirent – Jean-François Mattéi.
4* Édgar Morin, science avec conscience, p 24, éd du Seuil, point, 1990, ISBN : 2-02-012088-7,
« Elle porte en elle un univers de théories, d'idées, de paradigmes, ce qui nous renvoie d'une part aux conditions bio-anthropologiques de la connaissance (car il n'y a pas d'esprit sans cerveau), d'autre part à l'enracinement culturel, social, historique, des théories. Les théories scientifiques surgissent des esprits humains au sein d'une culture hic et nunc. La connaissance scientifique ne saurait s'isoler de ses conditions d'élaboration. Mais elle ne saurait être réduite à ces conditions. » pp 24-25.
5* Michel Foucault - contre lui-même – Arte vidéo - 18 juin 2014.
6* « Un match de boxe intérieur » , John Perry – propos recueillis par Alexandre Lacroix et Samuel Webb, Philosophie magazine N° 81, p 55.
Il ajoute page 57 : « Mais les choses qui ont réellement dominé ma vie sont largement accidentelles. Je ne m’attendais pas à tomber amoureux quand j’étais étudiant… Cela m’est juste tombé dessus… »
7 * Deleuze pédagogue – Sébastien Charbonnier – La fonction transcendantale de l’apprentissage et du problème – L’Harmattan.
« L’amour des problèmes n’est pas qu’une image chez Deleuze. Le rapport à la pensée est un rapport amoureux et les problèmes sont désirés de la même manière qu’on désire une femme ou qu’on désire aller quelque part. Les pages de Deleuze sur autrui comme structure a priori valent pour les problèmes : « Il n’y a pas d’amour qui ne commence par la révélation d’un monde possible en tant que tel. » (DR, 335) Leibniz aime à parler des paysages – pensons à l’exemple de la mer -, or un problème est justement une affaire de paysage. Proust le dit admirablement quand il nous explique qu’une femme désirée, c’est comme un paysage à parcourir, un paysage à dérouler. De même, on déroule les enroulements problématiques, leurs complications. Pour mieux comprendre ce rapport premier et amoureux au problème, servons-nous d’une audace interprétative de Deleuze, qui consiste à croiser les couples leibniziens clair/obscur et distinct/confus. » pp 71 – 72.
« Dans la physique de la pensée deleuzienne, le désir fonctionne comme carburateur.
… Vous désirez toujours un ensemble. [Vous désirez toujours ensemble, plutôt] C’est pas compliqué » (Abc, « désir ») p 69.
« Le désir n’est donc pas subordonné à un besoin ou à un manque, il est suscité par des rencontres qui favorisent plus ou moins sa production. » p 70 :
« je désire pas un [problème], je désire aussi un paysage qui est enveloppé dans ce [problème]. Paysage qu’au besoin je connais pas et que je pressens. » p 72 :
Deleuze pédagogue – Sébastien Charbonnier – La fonction transcendantale de l’apprentissage et du problème – L’Harmattan.
2009 – Paris - ISBN : 978-2-296-10610-9
8* Julie Gacon : «Vous citez André Weil qui dit : Tout mathématicien digne de ce nom a ressenti, même si ce n’est que quelque fois, l’état d’exaltation lucide dans lequel une pensée succède à une autre comme par miracle contrairement au plaisir sexuel, ce sentiment peut durer pendant plusieurs heures voire plusieurs jours. Alors êtes-vous un mathématicien digne de ce nom ?
Cédric Villani : Avec une citation comme ça, vous allez faire classer X votre émission.
[…] Tout est bon pour avoir le plus d’audience possible, je vois. […]
J’ai décrit une expérience comme ça dans mon ouvrage. C’est, comme le dit Weil justement c’est pas tout le temps, c’est quelque fois que ça arrive mais ça vous arrive.. Il y a quelques expériences que je peux citer de cet état d’exaltation à la fois très intense et avec un sentiment de quelque chose qui dure, de quelque chose qui vous apaise aussi.
Par exemple… La solution de la conjecture de Cercignani … Complètement coincé sur un calcul… Incapable de trouver quelle est la route logique qui mènera au résultat… après une nuit infernale passée à chercher… J’entre dans le TGV qui va me mener à Paris sans la démonstration…quand je m’assoie paf la démonstration est là… C’est la ligne directe… Et là c’est un sentiment incomparable
Le stress peut-être une chose à la fois paralysante quand elle est trop envahissante et une chose extrêmement exaltante et motivante quand vous la maîtrisez. »
Cédric Villani - médaille Fields 2010 : récit d'une traque à plusieurs inconnues.
22.08.2012 - 07:00 - Les Matins d'été par Julie Gacon.
Mais aussi, Emilia Ferreiro : « J’aime la recherche. J’éprouve un réel plaisir lorsque, après m’être longtemps battue avec un problème, avec des données, je m’aperçois soudain que j’ai compris. Cela signifie que je suis parvenue à construire un modèle théorique qui rend compte d’un aspect de la réalité, qui demeurait jusqu’alors inintelligible. C’est une satisfaction difficile à décrire. Pour rien au monde je ne renoncerais à cela. » Emilia Ferreiro, Culture et éducation. p 187.
9 * « La mathématique trouve son inspiration dans toutes sortes de choses, ça peut être une inspiration interne de l’objet mathématique – avec la théorie des nombres, ça peut être la physique, ou de la biologie
Dans mon cas, c’est clairement la physique avec l’entropie comme fil conducteur de chacun de mes travaux. »
25 min continent sciences.
10 * CÉDRIC VILLANI LE VIRTUOSE DES MATHS - Par Caroline Fontaine - Paris Match
Ses recherches fonctionnent souvent par phases. Ces dernières se décomposant en quatre points :
« Le prologue d’abord : plusieurs problèmes tourbillonnent dans ma tête jusqu’à ce que l’un s’approche plus près. Vient ensuite la première phase, où je ne comprends rien. Darwin disait qu’un matheux est comme un aveugle, qui, dans une pièce complètement noire, cherche à voir un chat noir qui n’existe pas ! Au cours de la deuxième phase, ma préférée, je perçois une petite lueur.
A la troisième, je comprends tout, d’un coup. Je suis très fier, je multiplie les conférences.»
CÉDRIC VILLANI LE VIRTUOSE DES MATHS - Par Caroline Fontaine - journaliste à Paris Match
11* Britt-Mari Barth.
12 * « Pour comprendre le langage d’autrui, la seule compréhension des mots est toujours insuffisante, il faut encore comprendre la pensée de l’interlocuteur. Mais la compréhension de la pensée de l’interlocuteur est elle-même incomplète si l’on ne comprend pas son motif, ce qui lui fait exprimer cette pensée.
De même l’analyse psychologique d’un énoncé quelconque ne parvient à son terme que lorsque nous découvrons ce dernier plan intérieur de la pensée verbale, le plus secret : sa motivation. » Lev Vygotski – Pensée et langage p 495.
Lev Vygotski – Pensée et langage – La dispute. Paris 1997 ; Isbn : 2-84303-004-8
13 * PARADIGME : … ce que Kuhn appelle une révolution scientifique, laquelle, quand elle est exemplaire et fondamentale, entraîne un changement de paradigme (c'est à dire des principes d'association/ exclusion fondamentaux qui commandent toute pensée et toute théorie) et par là, un changement dans la vision même du monde. P : 26
14 * Socrate : « . Ce sont des prêtres et des prêtresses, soucieux de rendre raison de ce à quoi ils se consacrent; c'est également Pindare et maints poètes, gens divins. Voici ce qu'ils disent ; à toi de voir si, à ton avis c'est vrai. Ils disent que l'âme de l'homme est immortelle, que tantôt elle a un terme [ce qu'on appelle : mourir], et tantôt elle renaît, mais qu'elle n'est jamais anéantie ; et que c'est pour cela qu'il faut avoir une vie aussi pieuse que possible
[...] Ainsi, immortelle et maintes fois renaissante l'âme a tout vu, tant ici-bas que dans l'Hadès, et il n'est rien qu'elle n'ait appris ; aussi n'y a-t-il rien d'étonnant à ce que, sur la vertu et sur le reste, elle soit capable de se ressouvenir de ce qu'elle a su antérieurement. Toute la nature étant de même souche, et l'âme ayant tout appris, rien ne s'oppose à ce que celui qui se ressouvient d'une seule chose [c'est précisément ce qu'on nomme : apprendre] retrouve toutes les autres, pour peu qu'il montre courage et ténacité dans sa recherche ; car chercher et apprendre sont au total réminiscence. Il ne faut donc pas se laisser persuader par cet argument éristique ; il nous rendrait paresseux, et il n'y a que les mous pour le trouver agréable ; le mien rend les gens actifs et les incite à chercher; c'est parce que j'ai foi en sa vérité que je veux chercher avec toi ce qu'est la vertu. » Platon, Le Ménon. Ménon, 80d-82a
http://archipope.over-blog.com/article-21153453.html
15* «Pour moi, il faut rechercher cette souffrance.
« Si on ne souffre jamais, c’est pas bon signe… ça veut dire qu’on recherche des choses qui sont un peu trop balisées, c’est un peu trop facile. C’est un moment qu’on apprend à apprécier. Il y a une certaine jouissance à se sentir plongé corps et âme dans un problème. Dans votre soirée arrive le moment où elle est passée toute entière en immersion dans un problème. Ça vous fait souffrir mais en même temps ça vous occupe complètement. C’est comme lorsque vous êtes amoureux, par exemple. Ça vous fait souffrir mais vous ne pouvez pas imaginer d’arrêter ça. Ça vous paraîtrait bien pire de mettre un terme à cette souffrance. »
Cédric Villani – NCC – 03/02/2011 – Sciences en miroir de la philosophie.
16* Levinas. Les nouveaux chemins de la connaissance.
« Autrui me regarde. » Il est injonction à répondre
« Le visage est sans contexte. » Levinas.
Concept « d’otage ». Je suis pris par autrui.
17* Cinthia Fleury, Philosophie Magazine, p 82
Piaget parle d’assimilation des données, de déséquilibre puis d’accommodation.
La série américaine expliquée par son créateur.
Actualité philosophique : Dan Arbib à propos de Levinas, par Martin Quenehen - Les Nouveaux chemins de la connaissance Les Nouveaux chemins de la connaissance par Adèle Van Reeth - 04.07.2014 - 10:00
Homme tentant de percer le mystère de celle qu'il aime.