« L'échec c'est le fait de ne pas dépasser ses peurs. »
Cynthia Fleury.
« J’sais pas faire, j’suis nul. » se révolte Thomas.
Et quand je lui demande : « Pourquoi tu dis ça ? »
Thomas, du haut de ses neuf ans, explique, le plus naturellement du monde : « J’ai toujours été nul. »
Evidemment.
Thomas est la représentation de l’élève en difficulté par excellence. Huit élèves sur dix souffrant de troubles de l’apprentissage tiennent des propos semblables : se déprécient à outrance, dépriment, se bloquent face au moindre obstacle, vivent l’échec dans leur chair - dans leur âme. Il est frappant de voir à quel point l’erreur de départ constitue un échec, lequel abat moralement, bloque toute capacité de dépassement. L’impression de tout rater submerge, la force du vent contraire empêche l’élève en difficulté de respirer, lui interdit tout espoir d’avancer.
L’élève en difficulté (ou plutôt… en grosse difficulté) par excellence, c’est Souleymane, d’Entre les murs.
"C'est pas il veut pas, il sait pas écrire, oui !" Esméralda.
Daniel Pennac et Jean-François Dortier étaient – tout comme Thomas, eux aussi des « cancres ».
François Dortier, explicite dans un excellent article, ses difficultés scolaires et la manière dont il les a surmontées.
La quatrième question.
"Comment je suis devenu un élève presque modèle ?" Interroge le chercheur.
"La motivation est une construction permanente."
L’écrivain - quant à lui - développe longuement dans son livre – chagrin d’école - les tenants et aboutissants de l’élève en échec scolaire :
D’abord… LA HONTE…
« la honte de l'élève qui ne comprend pas, perdu dans un monde où tous les autres comprennent. » (1), p 39.
L’élève en échec scolaire, éprouve des difficultés (scolaires ou mentales) à un moment donné qui provoquent désarroi, puis comportement opposant.
Le "cancre", de Jacques prévert.
De la difficulté scolaire découle le trouble comportemental, puis du trouble comportemental découle retard et difficulté scolaire.
La boucle est bouclée, on n’en sort pas.
« c'est le propre des cancres, ils se racontent en boucle l'histoire de leur cancrerie : je suis nul, je n'y arriverai jamais, même pas la peine d'essayer, c'est foutu d'avance, je vous l'avais bien dit, l'école n'est pas faite pour moi... L'école leur paraît un club très fermé dont ils s'interdisent l'entrée. Avec l'aide de quelques professeurs, parfois. » (1) P 22.
La spirale (2) du discours négatif tourbillonne comme un cyclone.
« l’impuissance conditionnée » (learned helplessness)… nous dit Britt-Mari Barth, C’est l’état d’un enfant qui, petit à petit, par la force des choses, a acquis la conviction de son impuissance : c’est le destin… C’est en permettant à l’individu de réussir qu’on peut le convaincre que c’est possible. » (3) P 18.
Je suis nul, répète-t-il à l’envie. Puisque je le suis : à quoi bon essayer de comprendre ? Voyez, je vous l'avais bien dit que j'étais idiot : je ne comprends rien. La preuve : mes résultats sont désastreux. La démonstration – pour le coup – est magistrale, la logique imparable. La boucle est bouclée. La mauvaise image de soi s’alimente au sentiment d’échec (4), exacerbe la mauvaise estime de soi. Naturellement, le processus est une protection psychique inconsciente. Le sentiment de tout rater devient plus acceptable – moins lourd à supporter – quand il est inévitable. La fatalité devient un recours, invoquer le hasard constitue la condition de sa propre survie. Comment oser sinon - encore - se regarder en face ? Accepter de vivre ?
Thomas n’est pas bien vieux, ni bien haut, pourtant déjà, il n’y croit plus. Il se met en marge, au banc de la classe. Et ce n’est pas un hasard s’il espère désespérément se faire oublier.
« Quand le sentiment d’échec s’est installé dans les esprits, insiste Britt-Mari Barth, il est difficile de modifier les attentes négatives que les élèves ont d’eux-mêmes tout comme l’enseignant (et peut-être les parents). Elles sont suffisantes pour bloquer l’apprentissage en bloquant la disponibilité intellectuelle. Nous savons le rôle important que joue notre affectivité dans l’acquisition des connaissances : l’intégration de nouvelles données est fonction d’associations émotionnelles. » (3) p 156.
Que cette difficulté scolaire soit la résultante d’un retard acquis ou « inné », c’est bien l’incapacité qu’éprouve l’élève à un moment donné à « suivre » comme les autres qui va générer « la crise ».
« puisque j'étais j'étais réputé incapable. Ce verdict m'offrait les compensations de la paresses : à quoi bon se tuer à la tâche si les plus hautes autorités considèrent que les carottes sont cuites ?
... puis vint mon premier sauveur. Un professeur de français." (1) P95.
« Parce que le cancre, lui, les limbes du zéro, ça lui va (croit-il). C'est une forteresse dont personne ne viendra le déloger. Il la renforce en accumulant les absurdités, il la décore d'explications variables selon son âge, son humeur, son milieu et son tempérament : « Je suis trop bête », « j'y arriverai jamais », « le prof ne peut pas me sentir », « j'ai la haine », « ils me prennent la tête », etc. il déplace la question de l'instruction sur le terrain vague de la relation personnelle où tout devient affaire de susceptibilité. » (1) P 178.
D’abord, brisons – là encore un cliché - lire, n’améliore pas l’orthographe :
« Je n'étais pas un lecteur raffiné. N'en déplaise à Flaubert, je lisais comme Emma Bovary à quinze ans, pour la seule satisfaction de mes sensations, lesquelles, par bonheur, se révélèrent insatiables. Je ne tirais aucun bénéfice scolaire immédiat de ces lectures. Contre toutes les idées reçues, ces milliers de pages avalées – très vite oubliées – n'améliorèrent pas mon orthographe, toujours incertaine aujourd'hui, d'où l'omniprésence de mes dictionnaires. Non, ce qui eut provisoirement raison de mes fautes (mais ce provisoire rendait la chose définitivement possible), ce fut ce roman commandé par ce professeur qui refusait d'abaisser sa lecture à des considérations orthographiques. Je lui devais un manuscrit sans faute. Un génie de l'enseignement, en somme. » (1) P 99
Mais il existe des solutions :
1) Préalable indispensable : Penser – en tant qu’enseignant – qu’il existe une solution.
La rhétorique consistant à dire et répéter qu’il n’existe pas de « remèdes miracles » est trop commode.
P 39, se rappelle Daniel Pennac : " Les professeurs qui m'ont sauvé – et qui ont fait de moi un professeur – n'étaient pas formés pour ça. Ils se sont préoccupés de l'origine de mon infirmité scolaire."
Il ajoute, p 40 : "Ils ont plongé. Ils m'ont raté. Ils ont plongé de nouveau, jour après jour, encore et encore... Ils ont fini par me sortir de là. Et beaucoup d'autres avec moi. Ils nous ont littéralement repêchés. Nous leurs devons la vie."
2) Rétablir l’estime de soi :
"Quand le sentiment d’échec s’est installé dans les esprits, il est difficile de modifier les attentes négatives que les élèves ont d’eux-mêmes tout comme l’enseignant (et peut-être les parents). Elles sont suffisantes pour bloquer l’apprentissage en bloquant la disponibilité intellectuelle. Nous savons le rôle important que joue notre affectivité dans l’acquisition des connaissances : l’intégration de nouvelles données est fonction d’associations émotionnelles." P 156.
Britt-Mari Barth, l’apprentissage de l’abstraction, méthodes pour une meilleure réussite de l’école ; RETZ, 1987.
Il s’agira donc de proposer des situations où l’élève sera en situation de « réussite ».
Paradoxalement, si la volonté d’apprendre, de connaître est propre à tous les enfants, cette dernière peut se perdre. Quelle sera alors, le moyen de la rétablir – mais attention - sans baisser les exigences ?
L’activité scientifique, peut y contribuer.
« Quelle est la clé de la réussite ? Interroge Britt-mari Barth.
Premièrement, le succès : la meilleure façon de convaincre quelqu’un qu’il peur réussir, c’est de le lui prouver ; il faut donc organiser l’enseignement pour que chaque élève puisse réussir quelque chose. Ce qu’il réussit est moins important que de réussir afin de vivre l’expérience de la satisfaction liée au résultat de l’activité ou à l’activité elle-même. C’est la motivation intrinsèque. » P 155.
Mais également, les activités théâtrales ou les ateliers d’écriture…
C’est ce qui a « sauvé » Daniel Pennac.
Le « cancre » s’est métamorphosé en écrivain dès lors que l’un des ses professeurs lui a « commandé » un roman.
Ecrire un roman dénué de « fautes d’orthographes » ça va sans dire.
« … C'est en ne corrigeant pas leurs fautes d'orthographe ou en acceptant leur manque d'exigence que l'école leur manque de « respect » qui leur est dû, de l'attention qui est due à leur attente et à leur besoin de recevoir une instruction. »
Danièle Sallenave, Nous on n'aime pas lire, Gallimard, 2009.
3) travailler par « imprégnations » successives :
« Dès qu'ils avaient compris ce qu'ils lisaient ils découvraient leurs capacités mnémoniques, et souvent, avant la fin du cours, un bon nombre récitait le texte entier, s'offrait une longueur de bassin sans l'aide du maître nageur. Ils commençaient à jouir de leur mémoire. Ils ne s'y attendaient pas du tout. On eût dit la découverte d'une fonction nouvelle, comme s'il leur était poussé des nageoires. Tout surpris de si vite se souvenir, ils répétaient le texte une deuxième fois, une troisième sans accroc. C'est que l'inhibition levée, ils comprenaient ce dont ils se souvenaient. Il ne se contentaient pas de réciter une suite de mots, ce n'était plus seulement dans leur mémoire qu'ils s'ébrouaient, c'était dans l'intelligence de la langue, la langue d'un autre, la pensée d'un autre. Ils ne récitaient pas Émile, ils restituaient le raisonnement de Rousseau. Fierté. Ce n'est pas qu'on se prenne pour Rousseau dans ces moments-là, mais tout de même, c'est la divination imprécatoire de Jean-Jacques qui s'exprime par votre bouche ! » (1) P 162 :
3) Dernière « solution ? » :
Tomber « amoureux » de son ou sa prof. C’est ce qu’il s’est produit pour Jean-François Dortier…
Beaucoup plus aléatoire… vous l’avouerez.
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(1 ) Daniel Pennac Chagrin d'école 2007, Gallimard, Folio n° 4892, isbn : 978-2-07-039684-9.
(2) La boucle de rétroaction est habituellement utilisée pour des réactions naturelles par exemple celles liées au climat du type : sécheresse qui engendre des feux qui aggravent la sécheresse...
(3) Britt-Mari Barth, l’apprentissage de l’abstraction, méthodes pour une meilleure réussite de l’école ; RETZ, 1987.
(4) Cela n’est pas sans rapport avec la théorie du don.