« L’ombre : là où gisent les discrets. »
Marie Castelin
Certaine histoires se font destinées et d’autres – exigeantes - pleines de passions calmes, d’apparence froides, se condamnent à rester confidentielles.
Le monde de Georges Braque est plein de silences fougueux, de limon et de musique. C’est dans cet univers faussement dépassionné – original – que le peintre expérimente, étudie, songe au rythme de ses questions. Dans son atelier - en intimité avec son travail - ses pensées se bousculent.
Il décortique les teintes : curieux d’en découvrir les propriétés, d’en dépecer l’intensité. Il confie à son ami, le poète Pierre Reverdy : « La couleur a très peu d’importance. C’est le rapport entre les couleurs qui compte »
Frère de sang d’Henri Matisse qui « utilise des couleurs comme des bâtons de dynamite. », à l’Estaque, George Braques harponne le soleil par le divisionnisme de la touche. Tout en tonalités franches, ses a plats étanchent la lumière.
Le peintre commet sa ‘Petite Baie de la Ciotat’ : une géométrie aérée de blanc poussant l’intensité du spectre lumineux à ses limites. « Les couleurs n’y rugissent pas - dira l’artiste - c’est une violence contenue. ». Effectivement, le petit format est une porte ouverte sur un espace miroitant. Nous voici donc embarqués vers un étang flamboyant où la brise de coton délicat déclare la belle saison ; où les roses, les bleus, les jaunes surgissent comme autant de jours d’été au zénith. Il vendra l’œuvre.
Puis, inconsolable... « J’y pense souvent comme quelqu’un qu’on aime – confiera-t-il - et qui est loin de soi. » … rachètera l’espace de sérénité pour ne la plus jamais quitter.
Son œil bouillonnant poursuit ses analyses. Rapidement, Cézanne l’intrigue. Quels sont les effets produits par un trait, une ligne cassée, une courbe, un point, sur la conscience ? La géométrie solidifie le paysage, remarque-t-il. La couleur plus qu’un objet ou une matière, se fait flèche, direction - se mêle à l’espace... en Profondeur.
Il mariera intensément ces principes dans la ‘Vue de l’hôtel Mistral’. Au premier plan, le mur sert de repoussoir. Au second plan, le végétal s’agrège aux cieux – l’hôtel Mistral situé au sud de la lumière est barricadé d'une nature ardente, fortifié d’un ciel arborescent d’intensité.
« Le viaduc à l’Estaque » est un théâtre où un rideau d’arbres azurés saluent le jaune distillé de l’urbanisme. Rivière serpentine fondue de hauts fourneaux et de chemins champêtres, scène cimentée d’une antique présence, éclatante – et d’une moderne manufacture - vétuste déjà. Dans cette carte de France industrieuse, le vénérable aqueduc domine les contraires en leur milieu. Rempart à la voracité féroce de l’exploitation du monde.
George Braque fait partie de la constellation de Picasso. Les deux étoiles échangent, expérimentent, débattent, brillent - chacune – de l’éclairage de l’autre. Georges lui soumettra son Grand nu 3* : astre au corps massif, au champs gravitationnel de la tête courbant l’espace du dos. L’attraction est immédiate : Picasso terminera Les demoiselles d’Avignon, plein de l’influence de ce nouvel espace-temps.
Aux yeux de Braque arranger, réarranger des objets, un sujet, des éléments sur la toile, c’est s’enchaîner à un roc peuplé d’habitudes. « La liberté c’est surtout se libérer d’un automatisme. […] L’automatisme, c’est l’accomplissement des lignes. » 2*
Il attaque la face ouest de la structure de l’objet. Démonte en altitude les points culminants de l’univers.
Sa maison à l’Estaque fourmille de cette orientation particulière. Balayé par le mouvement, un arbre verse sur la gauche. Au centre, le village ocre – gris – vert sans fenêtres ni portes, est battu par des bourrasques de formes ascendantes. La tempête nettoie, purifie, arrache tout élément anecdotique.
Le peintre entre en cubisme analytique : sacre des compositions / décompositions. Esquisse d’une plénitude en quête de symboles, ordre fait de méditations, de tons à granulosités hétérogènes : sables et papiers collés.
Les coloris enfilent la bure grossière du lin : l’œil n’a pas besoin d’éclat pour examiner l’essence des choses. Entrer en communion avec les profondeurs ombrageuses réclame un examen des compositions étagées, plans superposés comme autant de miroirs brisés. On parle d’hermétisme.
« Je reviens toujours vers le centre. Je cherche à avoir des foyers d’intensité. » dévoilera-t-il.
NOTES.
1* - 20/11/13 Marie Castelain – Auditorium Musée des Beaux Arts Lille
2* - Georges BRAQUE (1882 - 1963) - Une vie, une œuvre. Emission du 02/11/ 2013 - de Matthieu Garrigou-Lagrange. France Culture
« Un maître, c’est quelqu’un qui a un certain talent. Qui a un talent et qui l’exploite. »
3* Les critiques parlent – souligne Marie Castelain de primitivisme, pas cubisme au sujet de ce tableau.
----------------------
SITES :
ETERNELS ECLAIRS : Les tableaux .
Philippe SOLERS : Georges Braque tel quel
suivi de Braque et les écrans truqués par Marcelin Pleynet
La poésie à l’école : Pédagogie.
George Braque : initiateur du cubisme.
Georges Braque - autoportrait.
L'histoire du cubisme.