Il serait logique d’attendre d’un généticien – surtout de la stature d’Albert Jacquard – des réponses scientifiques, rationnelles, déterminées… aux questions de la connaissance, de l’apprentissage, de l’intelligence. Il n’en est rien.
"C'est tellement désolant d'être un vainqueur."
Albert Jacquard tout au long de son oeuvre (cf Chantal Serrière) et de ses livres – très clairs et surtout très agréables à lire - dénonce les idées reçues, les clichés, les statistiques et calculs mathématiques erronés…
Ainsi nous prévient-il des fausses évidences. L’une de celles souvent rencontrées - et des plus sournoises – car elle a l’apparence de la vérité est la confusion entre corrélation et cause.
Moi et les autres, édité au Seuil.
Une corrélation est un fait souvent rencontré en regard d’un autre fait.
Une cause, au contraire, a un lien direct de cause à effet. Elle est la base d’un phénomène qui entraînera des conséquences.
Pour faire simple :
Vous observez tous les étés des feux de forêt.
Vous observez également des pompiers présents aux abords des forêts.
Pourtant, les pompiers ne sont pas la cause des feux.
Ca peut paraître idiot, et même stupide d’insister sur cette confusion. Et pourtant, elle est extrêmement fréquente. Parfois, ceux qui les emploient ne s’en rendent pas compte, on pourra donc sans doute leur trouver des circonstances atténuantes... Mais parfois – et c’est cela qui est le plus révoltant – certains chercheurs la font sciemment. Peut-on pardonner alors ce qu'il serait convenu d'appeler une malhonnêteté intellectuelle ?
Albert Jacquard développe : « … nous constatons, bien sûr, que les habitants des quartiers chics paient cher de loyer et passent en moyenne deux semaines dans la neige ; les habitants de HLM de banlieue ont des loyers moins élevés et ne passent qu’un ou deux jours à la montagne : plus cher est le loyer, plus longue est en moyenne, la durée des vacances d’hiver ; il y a une très forte corrélation entre les deux nombres. Faut-il en conclure que le loyer est un « facteur » de la durée des vacances ? Cela amènerait à tripler les loyers de HLM pour permettre enfin aux ouvriers de faire de longs séjours à la montagne ! Il y a une erreur quelque part dans le raisonnement. Eh bien, c’est exactement la même erreur logique que commettent les quelques « psy » ou les quelques idéologues qui osent présenter le QI comme « facteur » de la réussite. Ils confondent innocemment, ou consciemment selon les cas, corrélation et cause.
Certes, un QI de 90 permet de prévoir un manque de réussite, si les conditions restent ce qu’elles sont. Mais pourquoi le resteraient-elles ? Il n’y a là aucune fatalité. Tout au contraire, l’objectif de la mesure du QI doit être non le plaisir de prévoir l’échec, mais la possibilité de prendre les mesures qui permettrons de l’éviter ». P 106-107
Mais le généticien ne fait pas qu’éclairer les erreurs des autres, il n’hésite pas à dénoncer – et exposer – ouvertement les siennes. La chose est assez rare pour être soulignée.
Ainsi nous relate-t-il l’anecdote suivante :
« Une mésaventure personnelle m’a fait prendre conscience de l’importance de ce lent travail de maturation, de compréhension, de pénétration d’un problème : un certain matin, ayant, sans cause apparente, formulé intérieurement une idée, à vrai dire subtile et qui m’a semblé particulièrement originale, je me suis senti « très intelligent ». Dans l’après-midi je n’ai pas résisté au plaisir, à la fin d’une réunion de travail, d’énoncer cette nouvelle vérité première devant mes camarades ; au lieu de compliments attendus, l’un d’eux a répliqué par un sourire moqueur. « Tu ne trouves pas cette idée intéressante ? – Si, bien sûr, mais elle figure intégralement dans ma thèse. » J’avais, dix-huit mois plus tôt, fait partie de son jury ; je sors aussitôt de ma bibliothèque mon exemplaire de sa thèse : rapidement nous retrouvons le passage exprimant mot pour mot « mon » idée. Dans la marge, j’avais noté « non, faux ».
Peut-être suis-je particulièrement lent – dix-huit mois pour comprendre une phrase – mais j’avais, après ce long délai, vraiment compris le problème posé, au point d’en faire une idée personnelle. Aurai-je été moins intelligent, si en une semaine j’avais compris cette phrase, mais en la laissant extérieure à moi ? Comprendre, c’est aussi prendre, s’approprier ; qu’importe le processus de rapidité. » (1)
Voilà qui nous invite à réfléchir :
Dans cette vidéo, Albert Jacquard, nous propose une autre vision de la science, où l'important est de bien poser le problème, où nous serions tous à égalité, où nous devrions essayer de raisonner ensemble. Il nous propose : La construction de l’humanité par elle-même.
Serions-nous des objets de savoirs ou des sujets ?
Pour lui, pas de doute : « Un être qui n’est que le résultat d’influences extérieures est nécessairement un objet fabriqué ; plus ou moins bien réussi selon la qualité des sources, il est l’aboutissement passif des chaînes causales sur lesquelles il n’a de prise. L’auto-organisation, si elle se développe suffisamment, lui permet de devenir un sujet, qui se détermine en partie lui-même. » P 138.
Voilà - peut-être - ce que nous sommes : une infime participation à la création de l’humanité.
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1) « moi et les autres, initiation à la génétique, Point, Seuil, Pp 119-121.