L’ «esprit et l'existence sont des reflets de la culture
et de l'histoire tout autant que la biologie
et les capacités physiques. […]
La culture donne forme à l'esprit »,
Esthel, Paris, 1991
A chaque décennie, tout devient moins bien, les années retranchent, enlèvent, abaissent, rendent les connaissances imprécises. Montée en spectre des faiblesses, des retards, de l’inconsistance… Le temps est une malédiction où la matière est forcément perdante, où l’intelligence s’altère, où la cervelle se détache en cinquante nuisances de gris : flétrissure, ralentissement, fatigue, pensée trouble, paresse du souvenir, indolence, initiative en berne, frilosité...
Sauver – ce qui peut l’être encore. Eviter les plus graves inconvénients.
Combattre les sournois assauts à force de vitamine E, absorption de pilules et autres coaches sportifs employés à haute dose. Dieu merci, les machines et artifices de toutes sortes destinés à conjurer le ramollissement cellulaire - et à effacer les plis - existent. Investissement frénétique, pour se faire un masque acceptable.
Est-ce que ça le vaut bien ? Ou est-ce repeindre les murs à l’or fin lorsqu’il y a des trous dans le plafond ?
En archéologue du présent et en conservateur du porte-monnaie, l’homme finit par creuser la question. L’érosion est-elle inéluctable ? Vivre longtemps constitue-t-il vraiment un inconvénient ?
Fini l’artifice – l’espoir – direction la science avec Catherine Vidal pour guide.
Catherine Vidal – 1*
Catherine Vidal – La plasticité.
Conférence Citephilo du 20 décembre 2012 - Salle d'Anchin, Douai.
"Chaque neurone est connecté à 10 000 autres.
Nous avons 100 milliards de neurones.
90% de nos synapses se fabriquent après la naissance.
L’interaction avec l’environnement et l’apprentissage sont primordiaux dans la construction de notre cerveau.
L’apprentissage entraîne un épaississement des régions du cerveau. Ce dernier est proportionnel au temps passé."
L’inconvénient se fragmente. L’âge résonnerait-il comme un avantage ? C’est le parti pris de Régis Debray 2* « le radoteur, à son insu, innove. C’est en oubliant qu’on répète, c’est en se souvenant qu’on invente. » p 107. La faculté de juger, la construction critique se forgent avec lenteur, savoir-faire. C’est moins la frappe de l’acier sur l’enclume qui révèlera les qualités insoupçonnées de la matière que la dextérité avec laquelle la main gauche tournera la lame, présentera le métal au travail du marteau ou l’en extraira. L’expérience fonde la réputation du forgeron.
Parcourir le monde – en flânant, de large en travers – loin d’anéantir le savoir l’affine donc, aiguise la réflexion. La complexité des lieux s’archive dans les mémoires.
« Archive, détail piquant – souligne Régis Debray - vient de archè, en grec, le début (continuons le combat). » p 46
L’espace s’enrichit de perspectives.
Catherine Vidal - Déterminés par la biologie ou le culturel ?
"Le développement du cerveau n’est pas contrôlé de façon stricte par un programme génétique."
Vidéo - Interaction avec le monde social.
« Chez l’adulte – souligne la Directrice de recherches au CNRS - on estime à un million de milliards le nombre des synapses ! Or, pour atteindre ces chiffres astronomiques, seulement six mille gènes interviennent dans la construction du cerveau. Ce n’est manifestement pas assez pour contrôler la formation de chacune de nos milliards de synapses. Ces observations montrent que le devenir de nos neurones n’est pas directement dépendant du programme génétique. » 4* p 26.
Sur la carte de l’intellect, un monde émerge. « Le cerveau se modifie en fonction des expériences de chacun… »
Redon et les astrocytes – Jean Claude Ameisen.
Le gai savoir s’inscrit en un parcours fait de pierres, de vie, de verdure, de ruines, de montagnes et d’ombres dont les plis donnent du relief – une densité - nous renseignent sur les obstacles, les couleurs du terrain, nous aident à nous situer. La carte, lentement dressée - a la puissance d’un plan Le temporel aigre-doux, courbe, borde et dégage la nature du sol. L’œil devient vision : mesure les distances, identifie les pièges et les précipices, prévient des égarements, permet les retours. La trajectoire devient visible – au moins jusqu’à l’horizon.
Au fond, l’âge – l’expérience – dessinent l’accident sur lequel on se trouve. Un paysage où l’on se promène, s’abandonne avec lenteur au sens, au jugement sûr, où l’on verse vers la clairvoyance.
La vieillesse, n’est-ce pas la liberté, n’est-ce pas marcher non aveuglément ?
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1 * « Quand le bébé humain voit le jour, il possède cent milliards de neurones qui cessent alors de se multiplier. Mais son cerveau est loin d'être terminé, car les connexions entre les neurones, ou synapses, commencent à peine à se former : seulement 10% d'entre elles sont présentes à la naissance. Les 90% restantes vont se construire progressivement jusqu'à l'âge de quinze-vingt ans. Dans un cerveau humain adulte, on estime à un million de milliards le nombre de synapses qui relient nos cent milliards de neurones ! En moyenne, chaque neurone est en communication avec dix mille autres. » p 66-67
« … le cerveau n'est pas d'emblée câblé comme un ordinateur et que rien n'est irrémédiablement figé. On parle de « plasticité » pour qualifier cette propriété du cerveau à se modeler en fonction de l'expérience vécue. » p 68.
« Cette plasticité cérébrale est à l'œuvre dans la vie quotidienne pour assurer l'apprentissage et la mémoire, mais aussi pour compenser des défaillances en cas de lésions cérébrales. Notre vision du cerveau est désormais celle d'un organe dynamique qui évolue tout au long de la vie.
[…] Chez les violonistes, on observe un épaississement des régions spécialisées dans la motricité des doigts ainsi que dans l'audition et la vision. [G. Schlaug, « The brain of musicians : a model for functional and structural plasticity », Ann. NY Acad. Sci. Vol 930, 281-229, 2001.] De plus, ces modifications du cortex sont d'autant plus grandes que l'apprentissage du violon a commencé tôt. Le maximum est situé entre cinq et dix ans, c'est-à-dire à une tranche d'âge où la plasticité cérébrale est particulièrement prononcée. Mais, attention, cela ne veut pas dire que les enfants qui commencent le violon plus tard seront de moins bons musiciens. Simplement, d'autres stratégies d'apprentissage seront mises en jeu et d'autres régions cérébrales seront recrutées. » p 74.
« Les capacité d'apprentissage sont spectaculaires chez les enfants, mais peuvent l'être tout autant chez l'adulte.
.. des individus qui apprennent à jongler avec trois balles : après deux mois de pratique, l'IRM montre un épaississement des régions spécialisées dans la vision et la coordination des mouvements des bras et des mains. Et si l'entraînement cesse, les zones précédemment épaissies régressent [B. Draganski et al., « Changes in grey matter induced by training », Nature, vo. 427, 2004, 311-312, 2004.]. Ainsi, la plasticité cérébrale se traduit non seulement par la mobilisation accrue de régions du cortex pour assurer une nouvelle fonction, mais aussi par des capacités de réversibilité quand la fonction n'est plus sollicitée. » p 75-76.
« L'ensemble de ces résultats illustre la dynamique du fonctionnement du cerveau dont les connexions se réorganisent en permanence dans le temps et dans l'espace, selon l'expérience propre à chacun. [F. Ansermet, P. Magistretti, A chacun son cerveau, Odile Jacob, 2004.] Il en résulte qu'aucun cerveau ne ressemble à un autre. » p 78-79.
Sylviane Giampino et Catherine Vidal, « Nos enfants sous haute surveillance, Albin Michel, 2009, ISBN : 978-2-226-18999-8.
3* Régis Debray - Le bel âge - Café Voltaire - Flammarion.
4* Catherine Vidal, Hommes femmes, avons-nous le même cerveau ? Les petites pommes du savoir – Le pommier – Paris – 2012 – 978-2-7465-0625-1
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SITES
LDH Toulon.
Citephilo - conférence salle d'Anchin à Douai du 20 décembre 2012 de Catherine Vidal.
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Rien n'est joué.
La plasticité cérébrale ou la régénérescence du cerveau:
Pierre-Marie Lledo at TEDxParis 2012