Lorsqu’on débute dans l’enseignement, la première affectation rime rarement avec calme, écoute, bref, la classe est peu
souvent « modèle ». Confronté aux violences présentes dans la cour, aux bagarres qui se poursuivent parfois en classe, on pare au plus pressé. Le résultat s’apparente à une inflation de
discussions. Usant de mots afin de contrer les maux.
On cherche alors des solutions – pour s’en sortir. Et asseoir son autorité.
On évoque alors le « conseil d’élèves ». Certes, cette solution n’est pas dénuée d’intérêt. Mais le souci du dispositif est
son installation (Assez lourde, puisqu’elle nécessite de préciser le rôle de chacun, d’identifier sa nature, son objectif, d’instaurer un tour de parole réglé – pas toujours facile en classe
difficile d’organiser le changement des rôles - « tour de rôle », etc.) Bref, cette pratique appelle des règlements, une gestion de la classe assez lourde et dévoreuse de temps.
Une autre solution souvent évoquée est celle de :
La boîte à « bagarre »
La boîte à « bagarre » est une idée de Philippe Meirieu (En est-il l’inventeur ?), préconisée lors d’une émission radiophonique diffusée sur Europe 1 en 2000. Ce dernier lutte contre la violence par divers moyens.
De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’une boîte à chaussure, toute simple. L’élève y glissera un courrier au sein duquel il aura pris soin de noter ce qui s’est passé dans la cour, en classe. Le courrier sera, ensuite, lu et commenté par les élèves.
Quels sont les avantages de cette boîte (non pas - à mon sens - à bagarre) mais à réconciliation ?
La boîte à réconciliation :
Premièrement, la mise en place est pratique, rapide et ultra simple.
Deuxièmement, ce dispositif engendre une mise à distance du conflit.
Une mise à distance de l’élève au regard de l’événement vécu : puisque ce dernier se doit de le rapporter par écrit.
Or s’éloigner de l’événement, le superviser, l’étudier est primordial. En effet, aborder l’événement frontalement, c’est souvent tomber dans des discutions sans fin. Parler, répondre, encore parler… à brûle pourpoint, sans réflexion, et ceci - bien souvent – non seulement ne permet pas de désamorcer les conflits mais ajoute de l’énervement au stress.
Élisabeth Bautier et Patrick Rayou, dans un livre consacré aux inégalités d'apprentissage, explicitent fort bien ce mécanisme. Si, insistent-ils, « Le minimum de « surplomb » pour comprendre les enjeux d'apprentissage ne sont pas assurés. (Alors) L'enjeu cognitif disparaît au profit d'une inscription dans le seul « ici et maintenant » de ce qu'ils sont en train de faire. » (1) Or, nous, enseignants, savons combien il est difficile de lutter contre le « Tout, tout de suite. », le « je veux, maintenant », bref le sentiment de toute puissance régulièrement rencontré chez les élèves les plus difficiles. Les chercheurs ajoutent, se plaçant toujours du côté des apprentissages : « Cette manière d'être au travail scolaire est au demeurant potentiellement efficace dans l'instant et cette efficacité relative maintient l'opacité pour l'élève comme pour l'enseignant observant l'élève, quant à la nature réflexive et cognitive du travail attendu. » (1 bis)
En réalité, à agir ainsi, on tombe souvent dans des discussions sans fin. On en reste au domaine de l’émotion. On s’en
tient à un dispositif de comportement reflex (parole – réponse), peu constructif. C’est le « genre conversationnel »(2). C’est-à-dire un dialogue où « les énoncés s'enchaînent
les uns aux autres sans maintien d'un objet stable »(3), un imbroglio.
« Dans le discours oral, l’énonciateur, confirme Michel Brossard, est pris dans le flux de
l’énonciation ; il n’existe qu’une distance minimale entre l’énonciateur et son énoncé. »(4) En outre, l’échange verbal a aussi pour fonction d’assurer l’appartenance à un groupe. Le langage
(5) est vecteur de communication, de socialisation. Il peut donc être valorisant de participer, de dire quelque chose, de s’exprimer afin de renforcer les liens communautaires, de se rattacher au
groupe classe, quand bien même la remarque se trouve en décalage avec la situation, ne correspondent en rien aux attentes du maître ou aux objectifs de la séance.
Le but est donc de favoriser la prise de conscience des relations qui lient les choses entres-elles, de générer une position de surplomb, facilitant la compréhension et le raisonnement. De favoriser l’instant de répit, - l’entre-deux – l’interstice – le décalage d’où va surgir la pensée.
Le but est de créer le recul nécessaire à l’émergence de la réflexion. Puisque « Les élèves qui réussissent à l'école savent mettre en œuvre cette capacité à construire des liens ». (6) martèlent Elisabeth Bautier et Patrick Rayou non sans fermeté.
Le courrier n’étant pas lu le jour même, dans le « feu de l’action », mais sa lecture étant différée dans le temps, cette
mise en retrait est imposée de fait. Cela suscite l’étude de l’événement de plus loin, de plus haut. La lettre saisie, transformée, interprétée va favoriser l’élaboration de processus
intellectuels complexes.
On peut enfin « se saisir du monde ».
Enfin, la boîte instaure un cadre nécessaire (Je reviendrai sur cette nécessité de cadre.).
La lecture du courrier étant ajustée - par l’enseignant - en fonction du nombre de conflits et du nombre de pages.
L’enseignant peut s’organiser et régler cette pratique en fonction des besoins et des disponibilités des élèves (en concertation avec eux ou non). Ce dispositif peut être une aide à la
construction d’une relation de confiance réciproque entre l’enseignant et l’élève
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1 Élisabeth Bautier Patrick Rayou, les
inégalités d'apprentissage, PUF, France, 2009, p 117.
1 bis Ibid , p 117.
2 Élisabeth Bautier Patrick Rayou, les inégalités d'apprentissage, P 113
3 Ibid.
4 Michel Brossard, Op. Cit. P 80.
5 Roman Jakobson a mis en lumière la fonction phatique du langage.
6 Élisabeth Bautier Patrick Rayou, les inégalités d'apprentissage, P 111.