Un peu comme monsieur Jourdin, nous fabriquons tous des concepts, nous utilisons des concepts, nous pensons par concept et ce, sans même nous en rendre compte.
Pour Bruner… « L’acquisition des concepts est un aspect de ce qu’on appelle traditionnellement « penser »… mais nous avons insisté sur un sens plus large : pratiquement toute activité cognitive comprend et dépend du processus de la catégorisation », cite Britt-Mari Barth page 31 de son livre.
Qu’est-ce qu’un concept ?
Les concepts sont des représentations (par exemple d’un objet mais ça peut être également un sentiment, une action, etc.) dont on peut se faire une idée sans l’avoir en face de soi.
« Quand quelqu’un décide que tels éléments vont ensemble pour certaines raisons, il a formé un concept, c’est-à-dire qu’il a décidé des critères qui permettent de classer ensemble certaines choses. Il a distingué un certain nombre de similarités et il prend sa décision d’après des ressemblances, sans s’occuper des différences. Ce sont les similarités – les attributs essentiels - qui comptent. Il se peut que le concept ainsi formé n’existe pas selon les conventions, ou qu’il soit « faux » ; malgré cela, il remplit temporairement sa fonction d’organiser le monde pour la personne qui l’a formé. Avec le temps et l’expérience, le concept va se préciser et s’objectiver. » Ibidem, p 29.
Pour faire simple, prenons un concept concret, par exemple « boîte». La boîte est un objet réel, concret, symbolisé par un mot, une étiquette, un concept.
Le nom « boîte» enferme en lui-même un certain nombre d’attributs visibles et d’autres non visibles. Ces attributs définissent cet objet précis en tant que « boîte», et la distinguent des autres objets assez proches comme le carton ou le coffre.
Certains attributs physiques sont observables, donc paraissent évidents, simples.
Ce sont des critères tels que : « la taille – le son, la forme - le goût, la couleur, la température, la densité, le nombre, le volume, la consistance, le poids, l’éclat, la texture, l’état, l’odeur. » P 119.
D’autres attributs sont non physiques, ils ne sont donc pas observables (*Ils sont plus difficiles à détecter car il faut se poser des questions appropriées.)
Ce sont : « La catégorie ( classification supérieure ou inférieure), la fonction (utilité, rôle), le lieu ou place (relation entre un concept et son emplacement), le temps (existence dans le temps), la cause/effet (conséquence), la séquence (ordre dans lequel il arrive), l’origine. » P 119.
La difficulté du concept réside dans l’ensemble des attributs que l’on va retenir pour le définir. Parfois, ces attributs seront qualifiés d’essentiels, alors qu’ils sont en réalité secondaires. D’autres fois des attributs impropres se glissent dans la « définition », ce qui induit une fausse interprétation.
D’où le célèbre tableau de Magritte, jouant sur les concepts et « les mots ».
« Ceci n’est pas une pipe. » Effectivement, il s’agit, non pas de l’objet réel mais d’une représentation peinte sur un tableau. Ce qui est intéressant, c’est que Magritte, par ce biais, questionne le visiteur. Nous avons tellement l’habitude de manipuler, utiliser, jouer avec les concepts que notre premier réflexe est interrogatif. A l’évidence, oui, sur ce tableau, il s’agit bien d’une pipe. Et c’est l’écart qui sépare la représentation de la légende inscrite en dessous qui provoque le questionnement.
Pourquoi les concepts sont-ils importants ?
Le concept – comme Jérôme Bruner l’a indiqué - est à la base de la réflexion et de la pensée. Il est donc nécessaire d’en tenir compte si nous désirons faciliter l’accès au savoir chez nos élèves.
Les concepts permettent non seulement de se représenter le monde mais de l’appréhender (c’est-à-dire de le comprendre).
Que se passe-t-il chez les élèves en difficulté ?
L’élève distrait par des caractéristiques non essentielles, distinguera avec difficulté le concept dont il sera question dans la leçon.
Par exemple, pour appréhender le concept de carré. L’élève retiendra comme définition : 4 côtés égaux, 4 angles droits et une figure posée sur sa base.
Ce qui fait que lorsqu'il sera confronté à une image non conventionnelle du carré (on parle d’image prototypique), il prendra la figure pour un losange.
L’attribut non essentiel « carré = figure posée sur sa base » qu’il aura pu maintes et maintes fois observer dans des exemples aura pris une place essentielle.
Conséquences importantes :
L’élève n’a pas construit réellement la notion de carré (ni de losange).
Et pourtant – il sait énormément de choses – il manque trois fois rien pour que sa définition soit juste.
Le pire, c’est que – par des exemples répétés et toujours identiques - l'école a induit l’élève à accroire que tous les carrés étaient toujours posés sur leur base. En somme, l'enseignement lui-même a été l’instrument de cette idée erronée.
L’élève sera en échec (suivant les critères officiels d'évaluation).
D’autres fois, c’est l’élève lui-même qui aura construit cette définition erronée.
Ainsi, explique Britt-Mari Barth, existe-il une corrélation entre les difficultés à mettre en lien, à déterminer les attributs essentiels, opérants, et l’échec scolaire (ou du moins la difficulté scolaire).
« Pour mieux comprendre la complexité de ce niveau cognitif, il est intéressant de noter que des enfants atteints de lésions cérébrales ont des difficultés à comparer deux objets différents et à les considérer par rapport à deux traits communs. Ils réagissent plutôt par rapport à chaque objet globalement et ne sont pas capables d’en séparer un attribut et de le mettre en relation avec le même attribut d’un autre objet. Cette déficience chez l’enfant mentalement handicapé se retrouve souvent à un moindre degré sous la forme d’une difficulté chez l’enfant normalement constitué ; » P 94.
Comment améliorer le processus de conceptualisation chez nos élèves ?
Partant du principe que les élèves choisissent des attributs inappropriés ou non essentiels, il convient donc de les aider à déterminer lesquels le sont justement et ce qui distingue un attribut en accord avec une définition efficiente d'un autre.
L’une des méthodologies est l’entraînement à la perception et au questionnement.