Les
activités de tri, de classement, sont indispensables tant elles « contribuent à l’installation des fondements d’une pensée scientifique et logique conditionnée par le développement des
capacités à […] effectuer des classements ou des rangements, à désigner, à symboliser[…]
Ces activités de comparaison, de classement, […] doivent répondre à des besoins ou à des questions qui ont du sens pour
l’enfant. »
(document d’accompagnement des programmes de 2002, in « Découverte du monde")
Les programmes de 2008, ajoutent : «L’enfant […] observe, pose des questions et progresse dans la formulation de ses interrogations vers plus de rationalité. Il apprend à adopter un autre point de vue que le sien propre et sa confrontation avec la pensée logique lui donne le goût du raisonnement. Il devient capable de compter, de classer, d’ordonner et de décrire grâce au langage et à des formes variées de représentation (dessins, schémas)[…] » (Introduction du paragraphe « Découvrir le monde »).
Pour plus d'informations, je ne peux que vous conseiller le compte rendu de conférences pédagogiques (liées au tri et au classement) proposé sur le site de l'Académie de Nantes.
Ces opérations de tri, de classement, se déroulent – la plupart du temps – de manière descendante. C’est-à-dire que l’on part d’un grand nombre d’images ou de photos, qu’il s’agira – ensuite – de « classer » suivant différents critères (émanant de l’enfant puis, par comparaison, discussion, affinés, réorientés, etc.).
Le tout aboutissant à une synthèse.
Là encore – insistons – il ne s’agit pas de remettre en question ces pratiques utiles et nécessaires (je les utilise moi-même), dont l’intérêt pédagogique est incontestable.
De quoi s’agit-il alors ?
Il s’agit d’enrichir ce type d’activité «entonnoir », car descendante et partant d’une masse pour parvenir à un tri plus fin, par une activité « ascendante » telle que le propose Britt-Mari Barth.
Comment mettre en œuvre ce type d’activité ?
Partons de la maternelle, par exemple.
Que nous disent les programmes ?
« Découvrir le monde vivant », cf le site de l'IUFM
de Dijon.
« Observation des caractéristiques du vivant »
La découverte de la vie animale peut se faire dans la nature et à aussi à partir de « l’organisation, de l’entretien et
l’observation d’élevages ». L’étude d’animaux d’abord les plus familiers (hamsters…) puis d’autres (vers de terre, escargots, insectes…) permettra de dégager quelques caractéristiques :
naissance, croissance, changement…. Ce sera le moment de faire surgir les premières conceptions des enfants, soit verbalement, soit par le dessin et de tenter progressivement de les faire
évoluer. L’observation sera privilégiée (différentes parties du corps, nombre de pattes, première approche de la classification : insectes et non-insectes…). Parfois des expériences simples pourront être réalisées pour résoudre un problème qui se pose (Comment savoir ce
que préfère manger l’escargot ?) ou encore des réponses à des questions seront cherchées dans des livres documentaires. La construction des premières connaissances sur les fonctions du vivant et
sur les chaînes alimentaires pourra ainsi être envisagée.
Ok, la différenciation insecte, non insecte, m’intéresse.
Partons d’une photo – toute bête, c’est le cas de le dire – d’insecte.
Les élèves verbalisent.
Ils aiment cet insecte, c’est un papillon, il a des ailes, des antennes…
Proposons une autre photo, en leur disant qu’elle « se marie bien » (il s'agit d'une proposition de verbalisation, pas d'un
modèle) avec la première (exemple "Oui", c'est à dire un exemple qui va dans le sens du concept à travailler.)
Les élèves verbalisent pourquoi (les deux sont associées). Ajoutent et précisent le nombre de pattes, antennes, décrivent
le corps, etc.
Ensuite, montrons un exemple "Non". "Pourquoi, ne puis-je pas la mettre avec les deux précédentes ? Qu’est-ce qui est « pareil », qu’est-ce qui n’est « pas pareil » ? "
Et ainsi de suite en alternant exemples "oui", exemples "non", jusqu’à ce qu’une « règle » ou une « définition » soit énoncée sur le pourquoi « ils vont ensemble » ou « ne vont pas ensemble ».
Vous l’aurez deviné, cette « proto-définition » plus ou moins aboutie suivant le niveau de la classe (MS - GS) va servir de base à la définition « d’insecte ».
Nota : le choix des images sera variable en fonction des réponses des élèves, des propositions, des confusions. L'ordre et la quantité d'images varieront donc en fonction des observations faites par l'enseignant. Pour plus de précisions, cf Britt-Mari Barth, article "apprentissage de l'abstraction".
En d'autres termes, ceci est un exemple (afin d'éclaircir le propos), ceci ne saurait constituer un "modèle" à suivre.
En quoi la démarche, proposée par Britt-Mari Barth, est novatrice ?
Elle est novatrice car elle « oblige » à verbaliser, à dire de manière explicite, ce qui, ordinairement se fait de manière implicite. (En outre, le concept n'est pas donné d'emblée, ce sont les élèves qui, par tâtonnement et émission d'hypothèses successives, s'en saisissent.)
Je m’explique, vous voulez travailler en cycle II sur la notion de « mammifère ».
Vous procédez en partant d’un grand nombre de photos, et vous demandez de les classer, etc. Vous proposez - pourquoi non - des activités du type :
"Barre l'intru : ".
Les élèves vont aboutir à un classement satisfaisant, ils auront effectivement discriminé lesquels étaient les « oiseaux », les « mammifères », etc.
Mais auront-ils « compris » pour autant ce que le concept de mammifère implique ? Ce n’est pas si certain.
Dans le cadre de photos (cf Bruno Chanet - François Lusignan, site excellent de propositions de séquences) ou d'images à classer...
L'enfant va agir relativement vite. Il connaît bien ce type d'activité. C'est presque un réflexe. '
Mais, il aura peut-être classé un mouton avec un chien parce qu’ils ont tous deux des poils « doux ».
Des attributs « non essentiels » se seront
glissés dans sa définition et l'induira – ensuite – en erreur quand il rencontrera un hérisson.
La démarche proposée par Britt-Mari Barth est novatrice en ce qu’elle « oblige » dès le départ à « dire de manière explicite » pourquoi telle image va avec telle autre – et à contrario, en quoi telle photo ne peut pas aller avec telle autre. Les attributs propres à chaque concept travaillé deviennent explicites. Elle induit – en elle-même – un questionnement, une démarche d’analyse, une procédure fonctionnant par essai erreurs, bref une mise en mouvement de la pensée inédite.
L’élève doit traiter, « interpréter » les informations afin de les transformer en « savoirs ».
Yves Citton précise :
« La première condition est la conséquence directe du fait de situer l’interprétation dans l’intervalle « vide » qui peut survenir entre une perception sensorielle et une
réaction motrice : une interprétation ne peut se déployer qu’au sein d’une vacuole qui permette à la réaction de ne pas s’enchaîner directement sur l’excitation
subie. » P 74.
Yves Citton , L’avenir des humanités, économie de la connaissance ou culture de l’interprétation ?
La découverte, Paris, 2010.
(Pour aller plus loin, voici le compte-rendu de l’ouvrage
proposé par Magali Nachtergael)
Exemple d’étude au cycle II :
Notion de mammifère.
Présentation d’une photo (exemple "Oui"). (Verbalisation.)
Autre photo "Oui" (Précisions à fournir. Elimination progressive des attributs non pertinents.).
Photo "Non" (oiseau). Facile car présence d’éléments connus tels que… (plumes, bec, ponte, etc.)
Photo "Oui" (mammifère mais avec bec de canard !) Obligation de discussion (recherche et précision des attributs : en quoi est-ce un mammifère ou pas, etc ; Recherche documentaire sûrement nécessaire pour trancher.
Photo "Non" (insecte et/ ou poisson et/ ou reptile). Encore plus de précision nécessaire (verbalisation "sang chaud" / "sang froid" - notion de température constante, etc.).
Photo "Oui" (dauphin). Discussion – confrontation des points de vue. On affine encore la définition. Le dauphin n'a pas de poils (visibles, car ils sont peu nombreux et très petits. L'attribut "poils" n'est donc pas si "efficient" qu'il en a l'air. Au sens de condition nécessaire et suffisante pour construire la notion de mammifère) en revanche... celui d'allaitement...
Dernière image - au choix - afin de conforter et de valider définitivement (ou presque) la définition.
Cette dernière se doit donc d'être suffisamment éloignée des précédentes mais pas trop.
Le tatou est bien un mammifère, car...
Synthèse finale : élaborée par les élèves.
(Nota : Plutôt que d'utiliser photo "Oui" ou "Non", on peut utiliser n'importe quelle phrase ayant le même sens.)
Nous le voyons la théorie n'est pas incompatible avec une pratique simple à mettre en oeuvre. Le tout étant - c'est le but recherché - bénéfique pour les apprentissages.
Il ne semble donc pas inutile de méditer et de « ruminer » les écrits de Britt-Mari Barth.
"Il est vrai que, pour élever ainsi la lecture à la hauteur d'un art, il faut posséder avant tout une faculté qu'on a
précisément le mieux oubliée aujourd'hui et c'est pourquoi il s'écoulera encore du temps avant que mes écrits soient "lisibles", une faculté qui exigerait presque que l'on ait la nature d'une
vache et non point, en tous les cas, celle d'un "homme moderne": j'entends la faculté de ruminer..."
La Généalogie de la morale (1887) Friedrich NIETZSCHE , cf site : Les paradoxes interdits.
Ruminons donc...
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Sites à consulter :