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10 avril 2013 3 10 /04 /avril /2013 20:34

Epictète – les stoïciens.

 

Demande-toi d’abord ce que tu veux être…

 

                                                                       Et alors fais ce que tu fais.

 

Epicure - 

 

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16 février 2013 6 16 /02 /février /2013 18:28

« Les sons émis par les oiseaux offrent à plus d’un égard la plus proche analogie avec le langage, car tous les membres de la même espèce émettent les mêmes cris instinctifs exprimant leurs émotions ; et toutes les espèces qui chantent exercent leur capacité instinctivement ; mais le chant en lui-même, et même les notes d’appel, sont enseignés par leurs parents ou leurs parents nourriciers. Ces sons, comme Daines Barrigton l’a prouvé, « ne sont pas plus innés que le langage ne l’est chez l’homme ». Les premières tentatives pour chanter « peuvent être comparées aux essais imparfaits de l’enfant pour babiller ». Les jeunes mâles continuent à s’exercer, ou, comme le disent les éleveurs d’oiseaux, « à répéter », pendant dix ou onze mois. Leurs premiers essais montrent à peine les rudiments du chant futur ; mais à mesure qu’ils avancent en âge on commence à percevoir où ils veulent en arriver ; et pour finir on dit qu’ils « chantent leur chant parfait ». Les couvées qui ont appris le chant d’une espèce distincte, comme les canaris élevés au Tyrol, enseignent et transmettent leur nouveau chant à leurs descendants. Les légères différences naturelles de chant dans la même espèce habitant des régions différentes peuvent être comparées avec pertinence, comme le remarque Barrington, « à des dialectes provinciaux » ; et les chants d’espèces alliées, quoique distinctes, peuvent être comparés aux langues des races distinctes de l’homme. J’ai donné les détails qui précèdent pour montrer qu’une tendance instinctive à acquérir un art n’est pas particulière à l’homme. » p 155-156 La filiation de l’homme Ed Syllepse p 171-172.  Patrick Tort – l’effet Darwin – sélection naturelle et naissance de la civilisation – science ouverte seuil. 

 

 

Pour peu qu’un chant d’oiseau se fasse entendre, il flotte dans l’air un parfum d’harmonie, d’entente et de légèreté ; la marque du territoire et du rude combat ayant lieu entre mâles afin de marquer l’espace ne nous parvient pas. 

 

Tout enseignement vient de partout et même – souvent - de nulle part. A travers un fourmillement de réponses : un mot, une phrase, une idée...  autant de patrimoines à préserver.

Lorsqu’on enseigne en milieu très défavorisé – comme en certains quartiers situés à la périphérie d’une grande ville – chose qui arriva à l’une de mes collègues, il y moins d’une dizaine d’année – on pressent les difficultés que l’on va rencontrer. Un manque typique de vocabulaire, une syntaxe approximative, un sens des mots assez vague, confus voire défaillant. 

Vous vous attelez donc à enseigner les fondamentaux ; 

Dans un souci de simplicité et d’efficacité, une professeure des écoles demanda un jour aux élèves :

- Vous allez conjuguer « Avoir un canari » au présent.

Les élèves déclinent le verbe d’une manière cacophonique – sans assurance, sans dynamique ni cohérence d’ensemble :

- j’ai un canari,

- tu as…

 

Heureux de leur réussite, tout à la fois mis en confiance par l’institutrice et dépourvus de cette barrière sociale qui rend l’ignorance ridicule - ces derniers osent demander ce qu’est une fourchette, ou encore, comme ici :

- Mais madame, c’est quoi un canari ?

- A votre avis ?

- Un oiseau.

- C’est le petit du canard, m’dame.

 

Deux ans plus tard – l’enseignante reprend la même respiration en banlieue de la ville auprès, cette fois, d’élèves favorisés.

Les voix se pressent, restituent les savoirs avec rapidité et élégance. Sans faute. Sans hésitation. Avec un tel phrasé, une telle certitude, l’enseignant se sent presque inutile. 

Cette belle unanimité exprimant sans aucun doute un savoir fixé, typique d’une connaissance acquise – possédée - bien assimilée. 

Pourtant, soudainement prise d’un doute, la maîtresse ne manqua pas d'interroger : 

- Au fait, c’est quoi un canari ? Vous savez ce que c’est ?

Des épaules se haussent, des yeux se lèvent. Emotions banales d’un individu soumis à une question stupide - pire, dont l’évidence de la réponse est une injure.  

- Bien oui, madame, c’est un oiseau, bien sûr.

Un autre surenchérit :

- Jaune.

 

Evidemment… Rien que de très prévisible. Pas la peine d’insister.

Mis en confiance par les réponses des autres, un dernier répond : 

- Bein oui, c’est le petit du canard, voyons ! 

 

                                                         Acquiescement de tous. 

 

-------------------------

Patrick Tort – l’effet Darwin – sélection naturelle et naissance de la civilisation – science ouverte seuil. 2008. Paris ISBN : 978-2-02-097496-7.

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11 novembre 2012 7 11 /11 /novembre /2012 18:39

Citephilo---Enthoven.jpg

Le monde dans lequel nous vivons – reconnaissons-le – souffre souvent de ne pas nous convenir. Nous y cherchons, quoi ? Un divertissement ? De la nouveauté ? Un point rythmique qui viendrait réveiller l’encéphalogramme plat de notre réalité ?

A l’offensive de la vie, nous nous perdons dans des contemplations distrayantes, des achats joyeux – parce que nous croyons les posséder – rassurants parce que nous pensons les avoir - décevants car nous n’en avons jamais assez.

 

Et puis il est des phénomènes psychiques délicieux, comme ceux de relire les livres aimés – heureux de vivre ces instants de rencontre, en résonance avec ces mondes intérieurs, insolites, inépuisables.

 

On peut alors consentir au réel, aimer ce que l’on possède, « être sidéré – nous rappelle Raphaël Enthoven - par la présence de ce qui est ». « Il arrive - en effet - que certains se satisfassent du fruit qu’ils mangent. », de l’émission qu’ils écoutent ou de la conférence à laquelle ils assistent. 

 

Dès ce lundi Les Nouveaux chemins de la connaissance, en relation avec Citéphilo, se proposeront d’aborder le thème du réel. 

Qu’est-ce que le réel ? Quel réel ? 

 

Nous pourrons alors nous étonner de ce qui est.

Trouver de l’insolite, notamment au travers du prisme de la sociologie, avec Robert Castel. Apprécier le singulier des mathématiques et de ses vérités plurielles avec Jean-Pierre Kahane. Désirer aborder la philosophie et la littérature, avec, d’une part, Jean-François Favreau qui nous entretiendra de Michel Foucault et d’autre part Raphaël Enthoven qui viendra aborder la question centrale du réel chez Clément Rosset, séparément du besoin qu’on en a. 

 

En marge de cette passionnante série d’émissions, enregistrées ce week-end, les invités ont eu la gentillesse de répondre aux questions singulières des auditeurs de l’auditorium du Palais des Beaux Arts de Lille.

 

Dans les extraits vidéos – réels - qui suivent l’auteur du Philosophe de service répond avec une passion communicative aux questions des auditeurs. 

 

 

VIDEO 1

 

 (En remerciant Raphaël Enthoven ainsi que Gilbert Glasman

de leur gracieuse autorisation à la mise en partage sur la toile de cette vidéo) 

 

00.00 : A propos du spinosisme de Clément Rosset, compatible avec Pascal avec Bergson. 

 

00.22 (Sur la transcendance) :Dans un système transcendant il y a le sensible et le transcendant. Chez Rosset il n’y a pas de transcendance, mais il y a au sein du réel une scission entre la quantité et la qualité. 

 

00.52 ( Du cœur et de la raison) : Il y a dans l’immanence rossetienne deux registres : le registre du cœur et le registre de la raison. Le registre de ce qui s’explique et celui de ce qui se comprend. 

 

1.30 (Le monde selon Spinoza) : Pour Spinoza la seule énigme c’est l’existence elle-même. Il n’y a plus de pourquoi. 

 

2.15 : Rosset aime les philosophes qui ne démontrent pas l’existence de Dieu. Pascal ne démontre pas l’existence de Dieu (2.25). Ce qui se démontre (Nietzsche) ne vaut pas grand chose (2.40)

 

3.20 : L’immanence de Rosset : c’est un immanence qui ménage la possibilité de merveilleux – et  en est la condition. Il n’y aurait pas d’émerveillement s’il y avait une instance tutélaire chargée de dissiper les mystères (3.35)

 

4.00 : Du matérialisme de Rosset. Quand on est matérialiste on ne peut pas adhérer à la transcendance (4.10).  Rosset ne comprend pas comment on peut être matérialiste et révolutionnaire (4.15). 

 

4.38 : Double dimension du marxisme : dimension explicative (rien à dire), mais morale de temps en temps (problématique). 

 

VIDEO 2

 

 

 (En remerciant Raphaël Enthoven ainsi que Gilbert Glasman

de leur gracieuse autorisation à la mise en partage sur la toile de cette vidéo) 

 

00.00 : L’athéisme (ou du moins son agnosticisme) de Clément Rosset sont-ils les conditions de son mysticisme : c’est précisément parce que Clément Rosset ne croit pas en dieu qu’il peut être mystique.

 

00.40 : Totalité et singularité plutôt que universalité et particularité ? 

Clément est un critique de l’idée d’universel. De même du particulier, vu comme phénomène d’une loi plus générale. 

1.35 : Pour Clément Rosset le vrai couple est hasard et nécessité. Hasard et nécessité sont des synonymes qui ne s’admettent pas. (2.28)

 

2.35 : A propos de Parménide.

On a fait dans l’histoire des idées de Parménide le père de Platon (3.35) et Platon aurait commis un parricide en introduisant le non-être au sein de l’être. Rosset dit que c’est une interprétation fautive et pauvre (4.27)

(4.55) D’un point de vue parménidien, comment peut-on croire en dieu ? Soit dieu est, soit il n’est pas. Si il est il n’y a pas besoin d’y croire, s’il n’est pas la question ne se pose pas. Ce qui existe, existe, ce qui n’existe pas n’existe pas. C’est la formule même de l’immanence. 

 

5.36 Le paradoxe de l’université : elle n’accepte pas les philosophes.

 

6.30 invite à lire Principes de sagesse et de folie (Parménide et les fourberies de Scapin de Molière). Rosset a remplacé un Parménide transcendant par un Parménide immanent (7.07)

 

VIDEO 3 

 

 (En remerciant Raphaël Enthoven ainsi que Gilbert Glasman

de leur gracieuse autorisation à la mise en partage sur la toile de cette vidéo) 

 

00.00 : Sur la physique quantique et la philosophie de l’immanence. 

Sur le fait de ne pouvoir dissocier le phénomène des procédures mises en œuvre pour l’observer. Une philosophie de l’immanence est une philosophie où l’homme n’a pas sa part (00.32)

Rosset aime beaucoup le Sartre de la première façon : celui de la Nausée par exemple (1.00)

 

2.00 : De la musique : la jubilation musicale vient du fait que la musique ne parle pas la langue des hommes. C’est en cela que elle est si précise quant au réel (2.14). L’enjeu de la musique est celui d’une science intuitive (2.42)

 

3.30 : Sohrawardi : C’est un philosophe de la lumière, de l’épiphanie. Rosset aussi. L’éducation sentimentale (4.00) : « Ce fut comme une apparition ». 

Grande question métaphysique : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien (4.42) : C’est un faux problème pour Rosset. Quand on ne voit pas quelque chose à laquelle on s’attend on dit qu’il n’y a rien (5.25) – on cherche des vers et on tombe sur de la prose (exemple de Bergson). 

 

VIDEO 0

 

 

0.00 : Il ne faut pas s’en tenir à la vérité – Ne jamais renoncer au vertige – Faire de la philosophie c’est ne pas se satisfaire de ce qui nous rassure 

      --------------------------------

 

Pour ceux qui en ont l’occasion, ce billet est une invite à se rendre à une ou plusieurs conférences bien réelles de cette seizième édition de Citéphilo qui se déroule du 8 au 28 novembre avec pas moins de quatre invités d’honneur.

 

Encore merci à Raphaël Enthoven dont je cite de mémoire la réponse qu’il me fit alors que je lui demandais son accord pour la mise en ligne de ces extraits vidéos : « Oh là, oui, je contresigne tout ce que j’ai dit. » 

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A LIRE :

 

Le réel, traité de l’idiotie.


Principes de sagesse et de folie

 

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Sites 

 

Site officiel de Clément Rosset.


Les Nouveaux Chemins de la connaissance : Clément Rosset et le réel

 

 

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29 juillet 2012 7 29 /07 /juillet /2012 10:16

Sous-le-Plafond-de-Montaigne-copie-1.jpg«Les pensées sont signes d’un jeu et d’un combat des affects (der Affekte) :

 elles restent toujours liées à leurs racines cachées.

Friedrich Nietzsche ; FP XII I 75,  

 

 « … ce besoin de consolation est impossible à rassasier,

 mais à asséner l’évidence tragique selon laquelle

 « plus on a de sagesse, plus on a de chagrin » 

et « qui augmente son savoir, ajoute à sa souffrance ». 

Quel professeur de philosophie oserait recommander à des esprits juvéniles 

qui se destinent à réussir la lecture de cette apologie de l’impasse ? »

Frédéric Schiffter (1) p 104.

 

Les vacances sont propices à la rumination, aux lectures, aux résolutions. 

 

Les résolutions bruissent de la rumeur des temps. Elles s’enroulent d’injonctions, celle de sortir de nos habitudes, celle de brûler d’un feu nouveau - flambant haut, jusqu’au zénith - celle du changement, du nouveau, du bonheur – surtout celle du bonheur. Cette tranquille assurance – l’espoir d’un changement de « peau », plus neuve, plus étincelante, plus jeune, plus heureuse.

 

Etre plus heureux ?

« Pourtant il n’est pas de force plus douteuse que l’espérance – écrit Clément Rosset. Ce n’est sans doute pas par hasard, ni par l’effet d’une erreur de copiste, que Hésiode assimile, toujours dans les travaux et les jours, l’espoir au pire des maux, au fléau qui est resté dans la boîte de Pandore, à la libre disposition des hommes qui s’y précipitent dans la pensée qu’ils y trouveront le salut et le contrepoison à tous les autres maux, alors qu’il s’agit d’un poison parmi les autres, sinon du poison par excellence. Tout ce qui ressemble à de l’espoir, à de l’attente, constitue en effet un vice, soit un défaut de force, une défaillance, une faiblesse… [...] la vie doit dorénavant s’appuyer sur une force substitutive : non plus sur le goût de vivre la vie que l’on vit, mais sur l’attrait d’une vie autre et améliorée que nul ne vivra jamais. L’homme de l'espoir est un homme à bout de ressources et d’arguments, un homme vidé, littéralement « épuisé »… A l’opposé, la joie constitue la force par excellence. » (2) p 28 :

 

A trop s’alimenter de vigoureux désir de changements, gare à ne pas se consumer. 

Gare à ne pas s’épuiser dans de stériles chimères. S’incendier de béates croyances. 

Se calciner telle la paille flambant haut mais ravagée l’instant d’une étincelle.

Ces idées désertiques, ces valeurs bradées sont des leurres économiques, des scintillements tremblotants. 

 

Reconnaître ce que l’on doit à autrui. Admettre les influences qui nous déterminent. 

Henry-Lamb-The-Artists-Wife-1933.jpg« Ces récits trouvaient en moi des résonances familières - écrit Hubert Reeves -

et j'y reconnaissais nombre de mes états d'âme. 

Il furent déterminants dans le choix professionnel qui fut le mien. » p 7. (3)

 

Rendre compte des actes d’autrui, de leur travail, de leur action sur les choses – sur nous – c’est reconnaître aussi notre dépendance à leur égard – notre dette. les lectures, les échanges, les rencontres, les influences extérieures, les communions de pensées qui nous abreuvent et nous forgent. 

 

Ainsi sont-elles non seulement importantes mais primordiales, elles nous constituent. 

 Camille-Corot-Liseuse-couronnee-de-fleurs-ou-la-m-copie-1.jpg

Lecture Bucolique - Enfin livre.

Il n’est pas aisé de trouver le bon terme, la phrase exacte - sincère - sans tomber dans l’éloge mièvre ni dans le portrait « catalogue » Redoute de qualités aussi fausses que fabriquées. 

A fin de ne pas tomber dans le partial et partiel, car on oublie toujours des atomes d’importance.

 

 

Merci donc à vos blanches contemplations, vos souffles abrupts, sensibles et puissants, vos écrits solidement naufragés … vos merveilles vaporeuses et profondes, vos vagues et vos ciels, vos conversations, votre présence, merci à tous.

 

Une contemplatrice sentimentale et mélancolique.

 

Effroyablement vôtre.

 

--------------------------.

 

 

(1) Frédéric SchiffterSur le blabla et le chichi des philosophes – PUF – France – Paris mars 2002 – ISBN : 978-2-13-059238-9

 

(2) Clément RossetLa force majeure – Les éditions de minuit – collection critique – isbn : 978-2-7073-0658-6

 

(3) Hubert Reeves, Je n'aurai pas le temps, Seuil - Trois philosophes à Vigur.

 

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SITES 

Frédéric Schiffter contre la pensée Chichi, Blabla et Gnangnan. 

Assez parlé - "Les philosophes vous pompent l'air avec leurs grands mots ? Ruez-vous sur cet essai killer aujourd'hui réédité." Martin Duru, Philosophie Magazine.

Atelier Clément Rosset.



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19 juillet 2012 4 19 /07 /juillet /2012 09:55

Selon Platon, 

« Connaître, c'est voir. 

ANDROMEDE-L-ESCLAVE--DE-T.-DE-LEMPICKA.jpgPenser, c'est regarder.

 Réfléchir, c'est discerner. »

Roger-Pol Droit.

 

Penser en tant qu’activité mentale est une évidence.

Mais apprendre, réfléchir, se réduiraient-il à l’usage de la raison ? 

Faut-il se libérer du corps pour accéder au réel ? 

Quelle est la place du sensible – des sens - dans ce monde de l’intelligible ?

 

En gros, la sensation, le sensible, ont-ils une place dans l’apprentissage ?

Pas sûr…

Révisons dans un premier temps ce que les penseurs de la philosophie ou chercheurs ont à nous dire… 

 

I Le corps comme moyen et fin d’accéder au réel.

 

« Penser, comme vous voyez, c’est toujours sentir et ce n’est rien que sentir. 

Maintenant, me demanderez-vous qu’est-ce que c’est que sentir ? 

Sentir est un phénomène de  notre existence. C’est notre existence elle-même. Car un être qui ne sent rien  peut bien exister pour les autres êtres s’ils le sentent mais il n’existe pas pour lui-même puisqu’il ne s’en aperçoit pas.

Vous pourriez avec plus de raison me demander pourquoi penser étant la même chose que sentir, on a fait deux mots au lieu d’un. Je vous dirai que c’est parce que l’on a plus spécialement destiné le mot sentir à exprimer l’action de sentir les premières impressions qui nous frappent celles que l’on nomme « sensation ». Et le mot « penser » à exprimer l’action de sentir les impressions secondaires que celles-là occasionnent : les souvenirs, les rapports, les désirs dont elles sont l’origine. Ce partage entre ces deux mots est mal vu sans doute, il n’est fondé que sur les idées fausses qu’on s’était faites de la faculté de penser avant de l’avoir bien observée.  Et il a ensuite causé d’autres erreurs. Mais malgré l’obscurité que ce mauvais emploi des mots répand sur notre sujet. Il est clair, quand on y réfléchit, que penser c’est avoir des perceptions ou des idées. Et que nos perceptions ou nos idées, je ferai toujours ces deux mots absolument synonymes. Sont des choses que nous sentons et que par conséquent : penser, c’est sentir. »  Destutt de Tracy dans son ouvrage sur l’idéologie.

 

Destutt de Tracy est un philosophe confidentiel, tombé dans l’oubli. Adèle Van Reth dans son émission des « Nouveaux chemins de la connaissance » nous dévoile avec Claude Jolly, les bases de cette pensée ‘Idéologique’.

 

Une philosophie appartenant au courant dit des « sensualistes » – ou « sensationnistes », clairement basée sur les affects. Evidemment, ce socle du « tout vient des sens » est loin de provoquer l’enthousiasme des pairs, plus d’un rectifie cette infâme philosophie d’un trait de plume - si l’on peut dire - bien « senti ». 

Claude Jolly se fait l’écho des corrections adverses :

Les spiritualistes les attaquent rudement.

Les romantiques les considèrent avec mépris et les conspuent en tant que rationalistes. 

Les traditionalistes combattent eux aussi ces traîtres vendus à la révolution. 

 

De fil en balayette, d’époussetage en coups de canifs, de déformation en caricature, cette pensée et son auteur Destutt de Tracy vont être conduits à l’écart, pour – vaporisation expresse – être mené prestement en direction des oubliettes de l’histoire. 

La-Verite-sortant-du-puits--1898--Edouard-Debat-Ponsan--1.jpg

Si la pensée de Destutt de Tracy a été payée d’injures, il ne faut y voir aucun hasard, bien sûr. Naturellement ce sont des raisons profondes – des thèses diamétralement opposées, contradictoires, incompatibles avec les philosophies « dominantes » qui l’ont poussée dans la pelle à ordures.  

Claude Jolly explique les bases de la pensée Idéologique…[Rose Goetz apporte une précision importante  : Tracy crée en 1796 ce néologisme d’Idéologie dans un mémoire sur la « faculté de penser ». Idéologie vue comme ensemble d’idées fausses est venue plus tard. ] qui assimile penser et sentir. « Destutt de Tracy s’inscrit dans une tradition philosophique anglaise initiée par Bacon et par Locke et dans la tradition des Lumières illustrée par Condillac. Les idéologues poussent à l’extrême cette affirmation que toutes nos connaissances et tout notre être sont fondés sur nos sensations. Ca fera de l’Idéologie une science non pas des causes (qui sont inconnues) mais des effets. Ca fera de l’Idéologie un système qui est totalement étranger à des concepts comme l’idée innée ou l’ a priori. » 

 

En quoi cette mise à l’écart philosophique est-elle éclairante ? 

 

Que ce soit en philosophie ou dans d’autres matières, telles les mathématiques ou la lecture, ce combat de « la sensation », des sens, du sentir est toujours présent à l’école. Et notamment en France.

 

II. Se libérer du corps pour accéder au réel.

 

Des raisons historiques expliquent ce dualisme séparant corps et pensée. «… humer, flairer, tendre les naseaux, ce n'est presque jamais affaire de philosophes. » écrit Roger Pol Droit dans son article du Monde des livres consacré à L'ODORAT DE CONDILLAC. (1)

Le philosophe écrit à propos de Platon : « Ce qui se met en place avec Platon aura dans toute l'histoire de la pensée européenne une postérité immense. Connaître, c'est voir. Penser, c'est regarder. Réfléchir, c'est discerner. Bien plus que des images ou des métaphores, ces formules ne cesseront de dire que la philosophie est une ophtalmologie - un savoir de l'œil, une histoire de vision, de direction du regard, d'accommodation. Et de passages de l'ombre à la lumière ou, inversement, de la lumière à l'ombre. » in LA VUE DE PLATON.

Le philosophe cherche la vérité...

 

Platon est un homme connaissant, un homme à la recherche de la réalité véritable, de la Vérité, en tant que connaissance. Il se méfie des sens et des sensations, lesquels nous illusionnent, nous trompent et nous égarent.  

« La vérité est ce qui éclaire la réalité. » Jean-Marie Frey.

 

       Mais c’est surtout au XVIIème siècle – écrit Jacques Darriulat – que la « La vérité du monde divorce d’avec son évidence. Pour connaître la loi, il ne faut plus décrire les phénomènes, il faut au contraire déjouer les apparences. La vérité de la nature n’est pas visible ni même sensible, elle est invisible et mathématique. » (2)

                Descartes à son tour, contemple le monde, l’analyse, se pénètre de ses fictions et les dénonce. Ainsi la tour carrée (reprenant Lucrèce)  paraît-elle ronde de loin. Ainsi une statue monumentale paraît-elle petite sous un certain angle (7).

 

 

Pour des questions d’objectivité, nous devons nous méfier du monde sensible. Nous nous forgeons une idée de la science telle qu’une vérité issue de la raison. Les principes perceptifs n’y ont pas place. « Ces principes, explicite Edgar Morin, ont été, en quelque sorte, formulés par Descartes : c'est la dissociation entre le sujet (ego cogitans), renvoyé à la métaphysique, et l'objet (res extensa), relevant de la science...  les théories scientifiques ne sont pas le pur et simple reflet des réalités objectives, mais sont les coproduits des structures de l'esprit humain et des conditions socioculturelles de la connaissance » (3) p 126. 

 

      Elodie Cassan – Raphaël Enthoven – 

Descartes : homme, femme, c’est un corps et un esprit.

L’âme et le corps sont différents en nature…

«Ceci est un bâton pas brisé…  Magie, je le trempe... Et hop !… L'angle varie.

Et comme dit Descartes : Ma raison le redresse aussitôt.

Ce qui m'a toujours laissé perplexe. 

Ma raison ne redresse rien du tout. » Raphaël Enthoven.

 

Illustration du dualisme par René Descartes. Les entrées sensorielles sont transmises par les organes sensoriels à la glande pinéale dans le cerveau, puis à l’esprit immatériel.

C’est l’esprit – donc - qui dirige le corps.

En gros, être philosophe, c'est se méfier de ses sens et « avoir de la cire dans les oreilles ».

      « La science nouvelle est critique, et non plus phénoménologique. » écrit le philosophe Jacques Darriulat.

« Kant, Critique de la raison pure, esthétique transcendantale, remarque générale III : opposition de l’apparence (“Schein”) et du phénomène (“Erscheinung”) : l’apparence est subjective ; elle n’est que la matière de la sensation non encore ordonnée par la forme de la catégorie, le divers des phénomènes non encore subsumé par la synthèse catégoriale ; le phénomène est objectif : il démontre la validité d’une théorie élaborée par l’entendement. Seul l’entendement a pouvoir de poser l’objet en tant qu’objet, de poser donc le monde comme un non-moi, et par conséquent le moi comme un non-monde. Le savant se désintéresse de l’apparence immédiate et ne s’intéresse qu’au phénomène mis en évidence par le dispositif expérimental. A la nature, il substitue le laboratoire. » (2)

 

Il existe – et particulièrement en France – une séparation nette entre tout ce qui est de l’ordre du ressenti, des affects et ce qui appartient au monde des connaissances à acquérir. Cette méfiance extrême s’imprègne jusque dans la matières scolaires où le règne du français ne saurait pactiser avec celui des mathématiques. Dans cette sourde bataille, choisis ton camp. 

 

En quoi cette vision du monde – ce paradigme – est-il néfaste ? 

 

Nous le verrons dans un second temps.

 

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Les nouveaux chemins de la connaissance, Quatre penseurs oubliés du XIXème siècle 2/4 : Destutt de Tracy, l'idéologue 

Adele-Van-Reeth-et-Raphael-Enthoven.JPG

Adèle Van Reeth reçoit Rose Goetz et Claude Jolly à propos de Destutt de Tracy.

Les penseurs oubliés du XIXème siècle.  Antoine Destutt de Tracy. (La dernière des idéologies classiques ?)

 

Condillac (sensations externes dans le « traité des sensations »)  alors que … (sensations internes : kinesthésie, cinesthésie, etc).

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(1) Les cinq sens de la philosophie - Roger-Pol Droit - Le Monde des livres. 

(2) Jacques Darriulat : La Révolution copernicienne.

(3) Édgar Morin, science avec conscience, éd du Seuil, point, 1990, ISBN : 2-02-012088-7,

(4) Épilepsie chez l'enfant : La recherche et la prise en charge médico-sociale. responsable de l'unité neuro-pédiatrique à l'hopital Necker-Enfants malades, professeur à l'université Paris-Descartes. Émission « Avec ou sans rendez-vous » par Olivier Lyon-Caen du 14 juillet 2009. 

(5) Les neurones de la lecture, op cit p 389

(6) Suzanne Borel Maisonny, langage oral et écrit, Delachaux et Niestlé, 1985.

 (7) «C’est ainsi que, selon l’exemple présenté dans Méditation Sixième, exemple par ailleurs emprunté à Lucrèce, une tour carré semble ronde dans le lointain, ou bien encore les statues colossales au sommet des architectures, celles de Palladio par exemple, semblent petites vues d’en-bas. » 

La critique de la certitude sensible est le premier argument du doute méthodique. »

Néanmoins, nuance Jacques Darriulat in ‘Descartes et la réhabilitation du sensible’ : « Cependant, la réhabilitation des sens dans la Méditation sixième est physiologique plutôt qu’esthétique, et porte davantage sur la mécanique du réflexe que sur le jugement de goût. On a parfois prétendu qu’il n’existe pas d’esthétique cartésienne, et que Descartes est indifférent au Beau. »

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SITES 

Contrepoints - L’économie selon Destutt de Tracy.

Jacques Darriulat - INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE ESTHETIQUE.

Les cinq sens de la philosophie - Le Monde des livres -  Roger-Pol Droit. 

In Libro Veritas - Platon, Le paradoxe du simulacre - Par Julie Martineau.

L'inspiration de la poésie et de la philosophie chez Platon - PDF.

Jean-François Mattéi.

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Esprit es-tu là ?

 

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Présentation

  • : Le chêne parlant
  • : L'éclectisme au service de la pédagogie & L'art de suivre les chemins buissonniers. Blogue de Virginie Chrétien chrétien. Maître formatrice en lien avec l'ESPE de Lille. Rédactrice chez Slow Classes. Partenariat : philosophie Magazine. Écrivaine : La 6ème extinction - Virginie Oak.
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Introduction.

L’éducation, dans son étymologie même, c’est : «Educere, ex-ducere, c’est conduire « hors de » rappelle le philosophe Henri Pena-Ruiz dans Le Philosophoire. Charles Coutel parle quant à lui d'[Educarea] ēdŭcāre ‘prendre soin de l’ignorance de l’élève’. "Le rôle de l’éducation - dit-il - c’est de me disposer à mon humanité en moi grâce à mon instruction." Ecoutons George Sand… « Mes pensées avaient pris ce cours, et je ne m'apercevais pas que cette confiance dans l'éducabilité de l'homme était fortifiée en moi par des influences extérieures. » George Sand, La mare au diable, Folio Classique, 892, P 37. Ce blogue se propose de partager des outils pédagogiques, des moments d'expériences, des savoirs, des lectures, de transmettre des informations relatives à la pédagogie ordinaire et spécialisée, des idées d’activités dans les classes allant du CP au CM2 en passant par la CLIS. Enfin, on y trouvera aussi quelques pensées plus personnelles. « Notre savoir est toujours provisoire, il n'a pas de fin. Ce n'est pas l'âge qui est le facteur déterminant de nos conceptions ; le nombre de « rencontres » que nous avons eues avec tel ou tel savoir l'est davantage, ainsi que la qualité de l'aide que nous avons eues pour les interpréter... » Britt-Mari Barth, le savoir en construction. ________________________________________________________________________________________________ 1 Le Philosophoire, L’éducation, n° 33, P16 2 P 52, Britt-Mari Barth – Le savoir en construction – Retz – Paris – 2004 – Isbn : 978725622347

Contributions et Partenariats.

Contributions gracieuses : Magazine Slow-classes. Numéro 1 Faire Mouche en géométrie et 2. Le moulinet à vent : mettre des mathématiques dans les voiles. ....... SLOW CLASSES : Slow Classes __________________________________________ Partenariat gracieux Philosophie Magazine. Philomag ________________________________________

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