En toute amitié.
Alexandre Lacroix - Philosophie Magazine.
La vague est fille d’un océan tourmenté par une dépression. »
1 * Frédéric Schiffter – Petite philosophie du surf.
Les commentaires exotiques pullulent à l’endroit de l’amitié.
Elle est parfois perçue telle la lumière d’une âme vouant / voulant du bien à l’autre (étrange présence du vouloir au sein d’un univers frappé de hasard), mais le plus souvent, son évocation reflète la communion de deux pensées cadencées, suprême accord de cœurs foulant un sol craquant au même rythme, accordés à l’unisson.
« Parce que c’était lui, parce que c’était moi. », ajoute le commun – aussi sec.
L’hommage fait à La Boétie par un Michel de Montaigne chaviré, dévasté, égaré non par la mort mais par la perte à vie d’Etienne - ad vitam arraché, coupé de son lien et de sa conscience – se meut en sujet de dissertation ordinaire. Crime de lèse sauvagerie, le sujet bateau chavire, tyrannise des générations d’élèves, décompose la fine fleur Montainienne en mascarades rédactionnelles, platitudes de références classiques, soupe de citations décoratives, pétales sans nuances ni émotions et autres réflexions déterrées de manuels que rien n’égaye.
Dans cette Loi ‘thermoapathique’, aucune transtantiation 2*, rien de transcendant : l’inerte se substitue aux sentiments, le sublime 3* fait tapisserie, le relief devient creux, la beauté absurde, les fines pointes – écrasées à coup de briques – se flétrissent instantanément sur elles-mêmes.
Alors ?
Heureux le simple du vague à l’âme.
L’amitié bruisse d’une totalité tonitruante vagissant dans un pois de silence, a la saveur du rien, la petitesse du tout, l’éclat d’un arc électrique situé au fin fond d’un univers opaque.
Mécanique du ciel jetant les âmes errantes au hasard, l’agitation amicale n’entre pas en fusion mais se heurte en un champ de sensibilités métalliques.
De l’escarbille jaillit la direction, incandescente et impalpable.
Etincelle sans écho, imprévisible, frappée de l’envie d’être désorientée.
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1 * P 37 - Frédéric Schiffter – Petite philosophie du surf. Editions Milan.
2* « Si Cook enregistre le mot, il ignore que, pour un « sauvage », « faire corps » avec un élément signifie communier en esprit avec lui, échanger son âme avec la sienne. Cook ne voit pas qu’il assiste à une transtantiation. A une transe. » p 50 :
3 * P 26-27 :
« Lorsque, confrontés à l’immensité du monde, nous mesurons la petitesse de notre être, ce que nous voyons n’est pas beau, nous dit Kant, mais sublime. Sublime, par une nuit claire, la majesté de la voûte céleste étoilée. Sublime, la succession, à perte de vue, des massifs enneigés. Plus sublime encore, les chutes d’eau d’un torrent, un orage en montagne ou une tempête sur l’océan. Mais que nous mesurions notre inconsistance face aux puissances naturelles ne nous humilie pas. Au contraire, cela nous édifie. Sachant que c’est à nous, les hommes, et à nous seuls, qu’il est donné de contempler la nature, même si nous ignorons le sens de ce don, nous ne pouvons nous empêcher d’y voir une élection. Devant ces spectacles, nous éprouvons un « sentiment de jubilation mêlé d’effroi ». C’est en cela, en ce qu’ils nous invitent à ressortir que nous ne sommes nés que pour être les témoins à la fois maudits et privilégiés d’un monde où nous ne comptons pour rien, que Caspar David Friedrich et William Turner s’affirment comme les maîtres du sublime. »
Frédéric Schiffter – Petite philosophie du surf – Milan 2005 – ISBN : 2-7459-1680-7
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Le charme des penseurs tristes.
« Le penseur vaut mieux que le philosophe. Affaire de politesse. Il ne nous importune pas avec des idées, des analyses, des spéculations, mais nous touche par ses songes, ses observations, ses hantises. […] Au lieu d’un pesant traité avec quoi un philosophe se venge sur ses lecteurs de la peine qu’il eut à l’écrire, le penseur nous régale de notes, de traits, d’anecdotes assemblés en recueils comme s’il s’adressait à un proche. »
Le charme des penseurs tristes. p 81
Vidéo 1 - Une philosophie des sentiments et de la douleur,
Vidéo 2 : Cioran, La marquise Du Deffand, Hérault de Séchelles.
" A ceux qui – tel Roland Barthes en son temps – relèguent La Rochefoucault dans le registre d’une critique sociale de son époque et de son milieu, comme si le moraliste était un intellectuel « traître à sa classe », pour en portraiturer les illusions, les ridicules et les simagrées, on ne peut que leur faire valoir combien les Maximes n’ont trouvé autant d’actualité qu’en notre époque où rivalisent les professeurs de la vie heureuse et juste, de la sculpture de soi, etc. La Rochefoucauld nous avertit que si tous s’évertuent à nous persuader de notre perfectibilité c'est parce que tous désirent passer à nos yeux comme aux leurs pour les illustrations mêmes du bien-fondé de leurs éthiques. Pas de dissimulation dans cette bonne parole mais une ruse de leur amour-propre qui les « ventriloque ». Pour qui sait voir sans ce besoin aveuglant d’admirer, leurs doctrines et leurs « exercices spirituels » trahissent leurs vices, leurs complexes et leurs carences affectives les plus secrets, totalement cachés à leur propre conscience et qui n’ont d’autre issue pour trouver un peu de jouissance ou de compensation que le moyen détourné du magistère. Quel ressort psychique peut bien animer un philosophe qui se dévoue à « éclairer » un public sinon un désir de le dominer et d’en être aimé ? Pourquoi, en retour, le public adule son maître sinon parce que, souffrant de maux semblables aux siens, il trouve quant à lui gratification à lui être soumis et ainsi, pense-t-il, à en être aimé en retour ? La servitude intellectuelle montre que l’amour-propre souvent « se hait lui-même » et qu’il fourvoie nombre d’esprits faibles dans les impasses de la conviction uniquement pour qu’ils aient l’impression de penser avec force."
Le charme des penseurs tristes. p 71-72.
Vidéo 3 : Albert Caraco.
"L’homme est un animal métaphysique et qui voudrait que l’univers n’existât que pour lui, mais l’univers l’ignore et l’homme se console de cette ignorance en peuplant l’étendue de dieux, dieux faits à son image. Ainsi nous parvenons à vivre en nous payant de raisons creuses, mais ces raisons si belles et si consolantes tombent à rien, quand nos yeux s’ouvrent sur la mort et le chaos, dont nous vivons enveloppés et toujours menacés. La foi n’est qu’une vanité parmi les vanités et l’art de tromper l’homme sur la nature de ce monde."
Albert Caraco, Le charme des penseurs tristes, p 122.
Le charme des penseurs tristes, suite :
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Le Charme des penseurs tristes. Flammarion.
Le philosophe sans qualités - Blogue de Frédéric Schiffter.